Byzance
vous envoyer le genre d’espoir dont vous parlez. Le messager de cet espoir sera un immense oiseau noir.
L’Étoile bleue le regarda comme s’il était devenu fou.
* *
*
— Hétaïrarque Haraldr Nordbrikt.
Joannès se leva pour le saluer et Haraldr songea que rien n’était plus hideux qu’un sourire de cet homme ; il ressemblait à un cheval qui retrousse les babines sur ses dents jaunes. Joannès fit signe à Haraldr de s’asseoir sur le siège de toile tout simple, et celui-ci dut admettre que le bureau de l’orphanotrophe ne trahissait qu’application, compétence et renoncement. Après l’épreuve du sourire, le visage de Joannès se figea dans son masque sinistre habituel.
— Hétaïrarque, je n’ai pas l’intention de mâcher mes mots. Je me suis trompé à votre sujet et je vous ai fait un tort énorme. Je ne me berce pas d’illusions : des excuses n’auraient que peu de sens pour un homme comme vous qui a surmonté des milliers d’obstacles, dont certains étaient mon œuvre, pour s’élever plus rapidement que quiconque à Rome. Maintenant que l’ancien hétaïrarque Hunrodarson se trouve écarté, je n’ai rien à perdre et tout à gagner si je fais de vous mon allié.
Il joignit les mains et avança son visage disproportionné jusqu’à ce que son menton lisse se pose au-dessus de ses doigts déformés. Sa voix, quoique contenue, semblait vibrer contre les murs.
— Je veux m’accorder avec vous. Et je vais faire un geste de bonne foi.
— Quel geste, orphanotrophe ? Le serpent me permet-trait-il d’inspecter ses crochets en témoignage de sa bonne foi ? Nous autres, hommes du Nord, sommes naturellement curieux, mais peu faciles à duper.
Joannès pencha en avant le dôme de ses doigts.
— Ce sera à vous de choisir ce geste.
— Dans ce cas, je vais demander à une délégation du Stoudion de solliciter un entretien avec vous, orphanotrophe. Votre geste de bonne foi sera d’accéder à leur requête.
Joannès acquiesça.
— Je suis tout prêt à répondre aux doléances du Stoudion, dit-il en penchant la tête tandis que ses yeux s’estompaient dans des ombres profondes. Puis-je vous montrer quelque chose, hétaïrarque ?
— J’ai déjà vu le Néorion, plus qu’il n’est nécessaire.
Joannès ricana comme pour lui-même.
— Je me doute bien qu’un homme de votre intrépidité ne se laisse pas persuader par ce genre de spectacle. Non, ce que j’ai en tête est un spectacle que je crois capable d’influencer votre intelligence, puisque vos passions sont déjà clairement au-delà de mon influence. Ne venez-vous pas de dire que les hommes du Nord sont curieux ? Ce que j’ai à vous montrer devrait vous expliquer ce qu’est l’Empire romain et justifier mes propres actes de façon plus complète et convaincante que tout le reste de ce que vous avez vu depuis votre arrivée parmi nous.
Joannès prit dans l’antichambre de son bureau deux chandelles de résine et une petite lampe à huile de bronze. Il précéda Haraldr dans le long corridor du sous-sol de la Magnara ; il marchait à grands pas saccadés qui faisaient voler sa robe noire comme la voile d’un vaisseau de morts. Il tourna à gauche dans un couloir étroit, ouvrit une petite porte de bronze très sale au fond d’un vestibule exigu, puis conduisit Haraldr à travers le dédale habituel des passages souterrains du Palais impérial. Ils en sortirent par une lourde porte bardée de fer et fermée par deux serrures. Joannès alluma les chandelles à la lampe à huile avant qu’ils entrent dans la cave.
Les flammes vacillantes révélèrent une voûte haute d’environ trois étages mais pas plus large que l’envergure d’un homme. Sans un mot, Joannès entraîna Haraldr sur une pente qui semblait assez raide. Les murailles soutenant la voûte étaient incurvées et Haraldr comprit qu’il s’agissait d’une énorme galerie en spirale, pareille à l’intérieur d’une coquille enfoncée dans la terre. Ils continuèrent de descendre, escortés par les ombres dansantes et le raclement des bottes de Joannès. Pendant un instant, Haraldr imagina qu’il trouverait le Bulgaroctone au fond de cette galerie, en train d’envoyer des chrysobulles impériales à son peuple bien-aimé. Ou peut-être le corps embaumé de Constantin le Grand, assisté par des eunuques d’un autre âge. Haraldr frémit. Qu’allait-il voir ? Existait-il un endroit plus horrible que le
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