Byzance
tu crois encore aux anciens dieux, murmura-t-il. Je regrette de n’avoir pu poser tes pieds sur le premier barreau de l’échelle du Paradis. Mais quand tu boiras au festin du Walhalla ce soir, dis aux rois de Norvège que j’ai essayé de leur faire honneur par ma mort, et qu’aucun homme ne m’a fait davantage honneur par sa vie que le jarl Rognvald.
— Et le nouveau roi de Norvège ? demanda le jarl ému.
Olaf ceignit son épée autour de sa taille.
— Oui. Où est Haraldr ?
Haraldr Sigurdarson était le demi-frère d’Olaf, âgé de quinze ans et héritier du trône. Le père de Haraldr, Sygurd Syr, avait régné avant Olaf, mais celui-ci avait été beaucoup plus qu’un demi-frère pour Haraldr car Sygurd Syr était mort dans la tendre enfance de Haraldr, et Olaf lui avait servi de père à tous égards.
— Haraldr est avec les scaldes , dit le jarl Rognvald. (Les scaldes étaient les poètes de la cour.) Il voudra combattre.
— Tous les gamins qui ne se sont jamais battus veulent se battre. Il est temps que Haraldr apprenne que, parfois, il faut plus de bravoure pour vivre que pour mourir.
— Où allez-vous l’envoyer ? Sa vie ne pèsera pas lourd en Norvège.
— À Kiev, en pays de Rus. Ingigerd veillera sur lui là-bas.
— Ils le pourchasseront jusqu’en pays de Rus. Chaque tueur à gages, chaque vagabond, chaque esclave du Danois voudra gagner la prime offerte pour la tête du prince qui n’est pas mort à Stiklestad.
— Il prendra un autre nom. Dans un an, il aura sans doute tellement grandi que personne ne le reconnaîtra comme le prince de Norvège, s’il sait tenir sa langue.
Le feu mourant fit briller davantage son regard hanté.
— Non, je crains plutôt qu’il oublie lui-même qu’il est Haraldr, roi de Norvège.
* *
*
— « Pour nourrir sans cesse les mouettes-de-sang »…
Le scalde tira sur sa barbe et médita le vers qu’il venait de forger. S’il le récitait ce matin-là, se dit-il, ce seraient probablement ses dernières paroles.
— Mouettes-de-sang, répéta Haraldr Sigurdarson de sa voix encore aiguë qui cahotait parfois dans le grave.
Il semblait encore très enfant pour son âge. Son visage mince aux traits fins s’entourait d’une longue chevelure d’or presque aussi belle que celle d’une femme. On disait qu’il avait les mêmes yeux bleus que son frère. Sa byrnnie de toile renforcée de métal semblait avaler les membres squelettiques. Seule la taille de ses mains et de ses pieds trahissait sa future stature.
— C’est le kenning pour corbeau, dit-il d’un ton d’autorité.
Les kennings étaient des métaphores élaborées, en faveur auprès des poètes du Nord.
— La mouette est un oiseau, et l’oiseau qui boit le sang est le corbeau. Nous allons nourrir les corbeaux avec le sang des Danois.
Le scalde fit la sourde oreille et plissa les yeux : des hommes s’avançaient dans la pénombre. Il reconnut le roi Olaf et tomba à genoux. Le jarl Rognvald et deux karls appartenant à la garde royale accompagnaient le roi.
Dès qu’il lut la tristesse figée sur les traits de son frère, Haraldr s’écria :
— Olaf ! Jarl Rognvald ! Écoutez : « Sombre comme la menace d’un orage de flèches…»
— Haraldr ! coupa Olaf en posant ses lourdes mains sur les épaules frêles de l’adolescent. Je vais te demander ce matin de servir ton roi et notre Norvège en une mission difficile – la plus difficile que j’imposerai à quiconque aujourd’hui.
Haraldr avait rêvé d’exploits héroïques toute sa vie et avait hâte de passer du monde des songes à celui de la réalité. Quel haut fait allait exiger son frère et roi ?
— Tu ne peux pas entrer dans le mur de boucliers aujourd’hui.
La tête de Haraldr bascula comme s’il avait reçu un coup droit.
— Guaka et Asti vont t’emmener à Rus, continua Olaf en montrant les deux karls. Tu m’as entendu parler d’Ingigerd, la reine de Rus. Je veux que tu restes à Kiev, à la cour de Rus, jusqu’à ce que tu puisses revenir ici en toute sécurité. Seuls Guaka et Asti connaîtront ton nom, ainsi qu’Ingigerd et son époux.
Olaf serra si fort les épaules de Haraldr que les yeux de l’adolescent luirent de douleur.
— Tu dois me jurer sur l’âme de ton père que tu ne diras ton nom à personne d’autre avant ton retour en Norvège. À personne. Si quiconque découvre qui tu es, jamais tu ne reviendras. Je te le garantis.
Haraldr
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