Byzance
la leçon de sa détestable expérience avec le césar, Joannès avait banni le nouveau magister Constantin à un poste de responsabilité dans les écuries… Quand la docilité de ce Constantin serait irréfutablement établie, il lui permettrait de décrotter ses bottes pour chausser les cothurnes impériaux.
L’orphanotrophe arracha avec mépris le sceau d’or du document de couleur pourpre qu’on tendait.
— La main de notre empereur ne semble pas très ferme, dit-il au logothète du Dromos en commençant sa lecture. Quel sentiment touchant ! ajouta-t-il quand il eut terminé. Le gamin supplie qu’on lui laisse la vie.
Joannès réfléchit un instant, et ses lourdes paupières reptiliennes se fermèrent. Scylitzès et les cercles de dignitaires firent un silence complet.
— Le nobilissime Constantin, bien entendu, ne parviendra jamais à la perfection. En dépit de tous nos efforts, jamais il ne deviendra pour nous un objet de satisfaction. Nous serons forcés de l’écarter. Mais le gamin peut devenir le point culminant de mon art, le véhicule par lequel la belle Calliope articulera les harmonies concentriques de l’univers romain. Ce jeune homme se présentera devant le tribunal céleste et proclamera d’une voix qui réduira les chérubins au silence que les mille ans de perfection de l’humanité approchent et que leur nom est Rome. Ensuite, notre jeune empereur offrira son âme avec reconnaissance à ce millénaire.
Joannès était resté les yeux clos pendant cette vision. Il les ouvrit, se tourna vers le logothète et montra ses dents répugnantes.
— Le jeune empereur envoie une galère pour me ramener à mon palais. Les mille années commencent.
— Ô fils de Cronos, s’écria Scylitzès. Ô Olympiens qui avez par l’industrie sans précédent de votre bras omnipotent projeté l’éclair de son imperium sur l’infâme usurpateur…
— Taisez-vous, Scylitzès, grogna le logothète du Dromos en le foudroyant du regard. Orphanotrophe ?
Joannès fit signe au logothète de parler.
— Permettez-moi de vous mettre en garde. Cette galère que l’empereur vous a si humblement envoyée peut avoir un Ulysse à la barre. Je vous suggère de lui ordonner d’envoyer un vaisseau sous le commandement d’un officier en qui vous pouvez avoir confiance. Nous avons déjà demandé au droungarios de la Marine impériale de rester dans le port du Néorion au cas où nous aurions besoin de lui. Comme nous n’avons manifestement pas à nous soucier d’une entreprise militaire, je crois que le droungarios serait plus utile dans l’immédiat à la tête de ce bateau, avec un équipage de son choix. Ce serait un geste symbolique. La galère impériale sous le commandement de vos officiers. Et nous n’aurions à craindre aucune trahison.
— Excellent, logothète, répondit Joannès.
Toutes les pensées du moine noir étaient déjà dans la Ville impériale. Il se leva et tourna le dos à sa cour d’aristocrates soumis.
— Arrangez les détails avec mon secrétaire, je vous prie, dans la missive qui signalera à notre empereur que j’accepte son geste généreux et que je me prépare à retourner aux devoirs impérieux de l’État.
Les dignitaires rassemblés l’applaudirent de leur propre chef.
* *
*
— Acceptez la condition, lança Constantin en levant les yeux vers l’immense dôme du Chrysotriklinos.
— Mais, mon oncle, c’était notre dernière occasion. Nous avions trois hommes bien entraînés dans l’équipage ; l’un d’entre eux aurait…
— Acceptez. Vous êtes un joueur, non ? L’enjeu a augmenté, c’est tout. J’ai ordonné que l’on ferme les portes tôt ce soir. Inutile de maintenir cette fiction de gouvernement. Rédigez votre acceptation des aimables conditions de l’orphanotrophe, puis renvoyez vos secrétaires et allez aux bains. Vous devez essayer de trouver un peu de repos ce soir. Je vais tenter d’augmenter notre propre mise dans cette affaire.
— Mon oncle…
— Continuez de me faire confiance, mon neveu.
Constantin posa la main sur le bras de Michel, puis s’éloigna rapidement du trône.
La rumeur rampait dans les rues de la Grande Ville par cette nuit froide et sans vent. Haraldr pouvait entendre l’angoisse sourde qui s’élevait dans l’air immobile, et cette fièvre sans paroles l’éveilla souvent. Pendant longtemps, il écouta la respiration troublée de Maria et se demanda si elle rêvait et quel destin elle
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