Byzance
toile était entourée de fossés, puis d’une clôture de corde. À l’extérieur de la corde, une foule énorme s’était déjà rassemblée. Malgré les pertes sur le fleuve, sept et peut-être même huit mille hommes de Rus étaient parvenus à l’île Saint-Grégoire. Comme Hakon l’avait demandé, Grettir avait placé ses plus jolies esclaves contre la corde. Il voulait voir « leur peau blanche éclaboussée de vin de corbeau ».
Sur le quatrième côté de la toile, il n’y avait ni fossé ni corde. À la suggestion de Hakon – et curieusement la condition avait été acceptée par Bois-Vert, la jeune viande d’aigle – , la quatrième limite de l’arène était une falaise de cent coudées, tombant à la verticale au-dessus du Dniepr.
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Haraldr avait chassé tout le monde de sa tente. Si ses mains tremblaient, il serait le seul à le voir. Une plainte aiguë, constante, emplissait son crâne. Il n’avait pas dormi de toute la nuit. Au cours des jours précédents, il avait entendu trop de récits des exploits de Hakon pour se croire capable de vaincre le démon qui guettait au plus profond de lui-même.
Il avait déjà poli son épée. Il prit un morceau de pierre pour rayer le manche d’os de sorte qu’il ne glisse pas. Il l’essuya. Prêt.
Le dragon attendait tous les êtres, homme ou Dieu. Même Kristr conquérant serait avalé un jour. Il n’y avait aucune honte à cela. L’important, c’était de cracher dans l’œil de la bête.
Haraldr se leva, ceignit son épée par-dessus Emma, prit sa lance et son bouclier et sortit de sa tente. Le soleil, caché jusque-là, sortit soudain des nuages et l’éclat de sa byrnnie brillante l’éblouit. Il songea au bonheur qu’il éprouverait de retrouver son père, son frère Olaf et le jarl Rognvald.
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— Pas ici, tête de marmotte, je ne peux rien voir !
— Je te parie quinze grivnas.
— C’est lui ! Il est assez grand…
— Bah, Hakon a arraché le cœur des Petchenègues avec ses doigts et les a donnés à manger à ses femmes.
— Ta langue est ivre.
— Il paraît qu’un serpent géant est tombé du ciel ce matin…
Gleb entraîna Haraldr loin des bavardages confus des marchands et des esclaves. Les ragots avaient bourdonné toute la nuit comme des moustiques. La plupart des hommes, qui n’étaient au courant de rien, n’en croyaient pas un mot. Le jarl Rognvald serait mort et un jeune membre de la Droujina, Haraldr Quelque-chose, avait mis Hakon au défi, pour le commandement de la flotte. Mais pourquoi Gleb, le pilote, avait-il pris le parti du blanc-bec ?
Haraldr se sentait aussi léger que du duvet dans le vent, étourdi par la chaleur, ébloui par les habits multicolores endossés par la foule pour célébrer le passage des cataractes. La soie et le drap de Frise s’épanouissaient comme des fleurs éblouissantes ; les pendants d’oreilles et les anneaux de bras brillaient. L’esclave aux cheveux couleur de corbeau qu’il avait admirée à Kiev l’attendait près de la corde. Elle serait sa Walkyrie.
Le coup sur sa poitrine lui coupa le souffle.
— Tu n’es pas là pour rêvasser !
Gleb cracha à ses pieds, prêt à frapper de nouveau Haraldr.
— Et ce n’est pas un matelas de plume.
Il montra du doigt la toile brune, et la falaise abrupte sur la droite.
Haraldr sentit alors de l’angoisse dans la foule, et non de la gaieté : le destin de tous allait se jouer. Il n’est pas si facile de mourir quand la vie d’autres êtres est en jeu.
Grettir avança sur le carré de toile en vociférant, les bras levés. La tête de brute de Hakon et ses épaules de bœuf parurent au-dessus de la foule. Des herbes coupées et des pétales séchés volèrent dans l’air devant lui. Sa byrnnie brillait comme de l’or irisé, ses cheveux blonds graissés au suif luisaient. Ses concubines, d’adorables jeunes femmes portant des ceintures d’argent ciselé, lui massaient les épaules.
Grettir debout sur le carré expliqua les règles traditionnelles du combat. Un combat à mort. Seulement trois boucliers. Une seule lance, une seule épée, une seule hache. Un homme peut sauter dans le fossé – mais bien entendu ce n’était pas un avantage – mais s’il passe les cordes il a perdu. Dernier point, évident pour tous : si un homme va dans le fleuve, il a également perdu.
Stanislas – le subordonné de l’évêque de Kiev qui accompagnait la mission en tant que chef
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