Byzance
que la plupart de ses amis dynatoï. Mais Scylitzès, qui naguère n’aurait pas daigné marcher du même côté de la rue qu’un honnête marchand, doit maintenant reconnaître parmi ses égaux certains gredins éminents des bas quartiers. Tu remarqueras à quel point ils apprécient l’éloquence attique du sénateur.
Un groupe de maçons chargés de couffins garnis de briques passa près de la table.
— Est-ce que l’empereur inspecte tous ses projets de construction avec autant de soin ? demanda Hord.
Halldor éclata de rire. La table à laquelle ils se tenaient avait été dressée dans une vaste cour derrière une maison assez modeste, au nord-est du Forum de Constantin. Les maçons entamaient les fondations d’une annexe imposante de la maison, deux fois plus grande que le bâtiment original.
— Ce bâtiment est particulier, répondit Halldor. L’empereur s’intéresse surtout à l’inspection d’un équipement spécial de la maison existante.
Hord comprit aussitôt.
— Qui est-ce ?
— Elle s’appelle Scléréna. C’est la nièce de la première épouse de l’empereur. Ils ont des relations intimes touchantes.
Hord secoua la tête.
— Et il se donne tout ce mal ? Il nous raconte qu’il inspecte cet important projet de construction, il fait dresser cette table et nous sert ce que nous désirons pour que nous patientions pendant qu’il grimpe sa nièce ? Et il n’est marié que depuis trois mois.
Le chambellan apparut à la tête de la table et se racla la gorge.
— Messires, dame Scléréna vous envoie un petit témoignage de son estime pour les gardes et les sénateurs de son empereur.
Une douzaine de jeunes femmes en tuniques blanches diaphanes entrèrent en sautillant dans la cour et se mirent à exécuter une danse sensuelle.
— Cette Scléréna ne doit pas être très experte en matière de construction, dit Halldor. Je commence à penser qu’il faudra exécuter des inspections et des contrôles fréquents par ici.
Hord et Ulfr éclatèrent de rire et imitèrent les nouveaux sénateurs qui marquaient le rythme de la musique à coups de poing sur la table. Plusieurs danseuses avaient déjà sauté sur la nappe quand Haraldr apparut et prit place. Il portait la robe de l’hétaïrarque, fonction qu’il avait accepté d’assumer temporairement pour le nouveau mari de Zoé. À côté de Haraldr, posée sur la table au niveau de ses hanches, se trouvait une grosse tête apparemment sans corps. La tête fit quelques grimaces ridicules puis sauta sur la table, poussée par le corps d’un nain. Le nain se mit à courir en tous sens en s’arrêtant pour lancer des claques sur les croupes des danseuses. Il s’arrêta devant Scylitzès, bomba le torse et fit le geste d’arracher sa propre langue. Puis il tourna son derrière vers le sénateur, émit plusieurs bruits de pets sonores, et fila comme s’il était propulsé par ses vents. Il se glissa entre les jambes d’une danseuse et tira la langue de façon obscène. Il bondit enfin de la table et courut dans la maison de Scléréna.
— Qui est-ce ? demanda Ulfr étonné.
— Théodocrane le Nain, répondit Haraldr, un bouffon célèbre d’Adrianopolis qui aura sans doute beaucoup de succès ici aussi.
Halldor se tourna vers les sénateurs, qui s’esclaffaient encore des plaisanteries du petit bouffon et imitaient déjà ses gestes les plus vulgaires avec les danseuses.
— Son succès paraît déjà acquis, répondit Halldor écœuré. Ce Théodocrane le Nain sera probablement notre prochain sénateur. Comment le connaissez-vous ? Il ne ressemble pas du tout aux amis habituels de Maria.
— C’est lui qui présente ma pétition, répondit Haraldr bras croisés avec un sourire satisfait.
— Quoi ? lança Ulfr. Alors nous serons forcés de rester ici. Mais dans la prison de la Numéra au lieu de la caserne.
— Tu crois ça ? dit Haraldr confiant. Je pense que l’empereur jugera Théodocrane d’une éloquence exceptionnelle.
Comme cette déclaration fut accueillie par des hochements de tête incrédules, Haraldr leur fit partager ses impressions.
— J’ai remarqué que l’empereur déteste traiter avec toutes les personnes qui font preuve du moindre sérieux. Si un ministre se présente à lui avec un plan bien conçu pour chasser les Seldjouks du thème de Taron, le Monomaque s’esclaffe et renvoie le ministre avant qu’il puisse terminer l’introduction de son discours. Mais
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