Byzance
ni votre intelligence ni votre force. Que peut-être Olaf a commis des erreurs à Stiklestad et tout perdu par sa faute, alors que vous étiez simplement un gamin courageux qui tentait de devenir un homme. Ce n’est pas vous qui avez perdu la bataille de Stiklestad et votre trône, mais votre frère Olaf.
— C’est peut-être ce qui me trouble. Je pourrais être un plus grand roi qu’Olaf et pourtant commettre un jour une erreur encore plus grave et sacrifier des quantités d’hommes. Peut-être sacrifier la vie de vos fils.
— En tout cas, vous avouez maintenant que nous survivrons probablement assez longtemps pour avoir des fils.
Haraldr lui lança un sourire sans gaieté.
— Je ne vous l’ai jamais dit, mais le soir de la réception de Zoé, pendant le numéro d’Abélas, il m’a appelé « marchand de destins ». Je sens le pouvoir de mon destin commander au destin collectif, et cela commence à me faire peur.
— J’ai senti votre destin la première fois que je vous ai regardé dans les yeux. Vous vous souvenez ? Au palais de Nicéphore Argyros, le regard que nous avons échangé à table. Il m’a glacée et m’a excitée à la fois. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de faire l’amour avec vous.
Pendant un instant, Maria ressembla à l’ancienne Maria, sauvage et insaisissable.
— J’ai cru alors que vous m’apporteriez de nouvelles ténèbres capables de m’engloutir, une prison plus douloureuse dans laquelle je pourrais dissimuler mon âme. À la place, votre destinée m’a conduite à la lumière. Votre étoile est une étoile claire et joyeuse. C’est cela que votre destinée apporte.
Haraldr se leva, toujours insatisfait mais incapable de résister à ses prodiges de persuasion.
— Et si j’étais tué en essayant de réclamer mon trône ? demanda-t-il sans quitter ses yeux. Vous seriez seule dans un pays inconnu et lointain. Je ne peux supporter cette idée.
— J’épouserais Halldor, lança Maria en éclatant de rire.
Haraldr se retourna, visiblement soulagé.
— J’en serais enchanté, répondit-il. Je ne plaisante pas. Vous imaginer toute seule… Je reviendrais des morts pour l’éviter.
— Et si je devais mourir aux mains de vos Petchenègues, ou tomber dans le Dniepr, qui épouseriez-vous ? Elisevett ?
La douleur creusa aussitôt le visage de Haraldr.
— Je n’épouserais personne. Je vous pleurerais le restant de mes jours. Je me dessécherais et mourrais. Je souffrirais chaque fois que je regarderais une autre femme.
— Et je serais donc condamnée pendant l’éternité à voir le malheur dans votre poitrine chaque fois que je baisserais les yeux du Paradis ? lança Maria avec un sourire espiègle.
Haraldr secoua la tête, comme si ce sort était imminent.
— Comment pourrais-je jamais vous remplacer ? demanda-t-il d’un ton plaintif. Cela profanerait votre mémoire. Je ne permettrai jamais à personne de vous chasser de mon âme.
Maria se releva d’un bond, les yeux en feu. Elle saisit Haraldr par le bras et le força à se retourner vers elle.
— Croyez-vous que quiconque pourrait jamais vous chasser de mon âme ? cria-t-elle, furieuse. Même après toute une vie ? Même après que mille hommes m’auront prise ?
Elle brandit le poing vers lui.
— Comment pouvez-vous supposer qu’une femme pourrait me chasser de votre poitrine ? Je resterai toujours en vous. Même si je ne devais jamais vous toucher, je toucherai toutes celles que vous toucherez pendant le reste de votre vie.
Des larmes coulaient sur les joues de Haraldr.
— Ce n’est pas ce que je voulais dire. Je voulais dire seulement que ce serait une douleur insupportable de vivre toute une vie avec quelqu’un d’autre en me souvenant toujours du peu de temps que nous aurions eu.
Du bout du doigt, Maria essuya ses larmes et le prit dans ses bras.
— Le temps ? Il n’y a pas de temps. Il y a seulement les instants où nous sommes ensemble. C’est là tout le temps qu’il y a jamais eu et qu’il y aura jamais. Et comment mesurer ce temps ?
* *
*
Cette nuit-là, Maria rêva de tout : les corbeaux, le feu, le roi au-delà du ruisseau et le roi sans barbe qui triomphait du roi barbu. Mais quand elle s’éveilla, elle ne se rappela que la dernière image. Il faisait encore sombre et elle se glissa contre Haraldr, serrant sa chair nue si fort contre lui qu’il finit par s’éveiller de ses propres rêves.
— Mon chéri,
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