Byzance
vergue.
Au début, on aurait dit un collier de pierres qui brillait sur l’eau. Au bout de quelques minutes, on distingua des proues dorées en forme de col de cygne. Des « dragons », comme les bateaux des rois du Nord. Mais il n’y avait dans le Nord qu’une poignée de ces bateaux-là. Ici, ils étaient des centaines disposés sur toute la largeur du Bosphore.
Gleb monta en haut du mât en quelques secondes. La blessure de sa jambe ne le gênait en rien dans les agrès. La flotte se rapprochait rapidement. Haraldr compta environ cent gros bateaux, entourés par plusieurs centaines d’embarcations de soutien.
— Les dromons de la flotte impériale. Des bateaux à feu, lança Gleb.
— Dans quelle formation ?
— Formation de bataille.
« Mourir pour mourir, se dit Haraldr, nous ne leur rendrons pas la tâche facile ! »
— Aucun geste de provocation ! cria-t-il à Halldor. Baissez les vergues mais ne carguez pas la toile. Les avirons et les armes prêts à l’action, hors de vue. Que les hommes restent en place pour pouvoir agir sur mon commandement. Nous les attendrons, mais s’ils viennent à moins de deux mille coudées, nous carguerons les voiles et gagnerons la côte à la rame. Des gros bateaux comme ça auront du mal à manœuvrer le long des falaises.
— Ces baquets de Rus aussi ! répondit Halldor.
Il transmit les ordres, et quelques minutes plus tard, la flotte marchande de Rus s’était immobilisée sur l’eau ainsi qu’un grand vol de mouettes. La Marine impériale continua d’avancer en formation parfaite. Les avirons plongeaient dans l’eau selon un rythme précis. Haraldr vit le scintillement du métal sur les ponts et distingua des silhouettes. Ils devaient être à trois mille coudées.
Deux mille cinq cents coudées. Haraldr se tourna vers Gleb. Le vieux pilote secoua la tête et serra les mâchoires. Deux mille deux cents. Deux mille cent. À deux mille coudées, Haraldr hésita, puis décida d’attendre un instant de plus. Il pouvait se tromper sur la distance. Quelques centaines de coudées de plus, il aurait encore le temps de gagner l’abri des falaises.
Dix-huit cents. Il vit les hommes en armure sur les ponts des vaisseaux géants de Byzance. « Kristr, mon destin est entre tes mains. Le don d’Odin n’a plus de poids ici…»
Dix-sept cents. Impossible d’attendre davantage.
— Halldor !… Non ! Attends.
Sur le dromon de tête, on venait de hisser des drapeaux au mât des signaux. Les doubles rangées de rames sortirent de l’eau, scintillèrent dans l’air comme les arêtes d’étranges monstres marins, puis disparurent presque en même temps dans les coques des dromons. Les bateaux byzantins ralentirent puis s’arrêtèrent. Ils devaient être à quinze cents coudées.
Gleb regarda Haraldr dans les yeux.
— Quand tu négocies avec les Grecs, ne tiens rien pour acquis. Ils prennent plaisir à ruser.
Un mouvement au coin de l’œil de Haraldr fit battre son pouls plus vite. Quel imbécile avait rompu les rangs ? Puis il vit la voile rouge gonfler comme un gros coussin de soie : le bateau de l’ambassadeur se hâtait de rejoindre les siens. L’ambassadeur se tenait à la proue, tel un amiral victorieux. À quelques pas derrière lui, une petite silhouette chauve se retourna, regarda le bateau de Haraldr et fit signe. Grégori. Il avait l’air maussade, comme s’il lançait un adieu permanent à ses amis du Nord.
Un seul petit vaisseau de queue glissa entre les énormes dromons et s’avança très vite vers le bateau de l’ambassadeur. Les deux bateaux se rejoignirent, s’arrêtèrent, et Haraldr aperçut l’éclat d’armures : plusieurs hommes passèrent sur le pont du bateau de commerce. Une discussion animée parut s’engager.
Puis les hommes en armure repassèrent sur le vaisseau de guerre. Les avirons plongèrent et le bateau de l’ambassadeur continua vers la ligne des dromons, tandis que le petit vaisseau de guerre avançait vers la flotte de Rus. Les dromons allaient-ils le suivre ? Si les monstres marins bougeaient, ne serait-ce que d’une coudée, Haraldr n’hésiterait pas à donner le dernier ordre de son bref passage au pouvoir.
Mais les dromons restèrent immobiles. À peine tanguaient-ils. On eût dit de grands bâtiments ancrés à terre plutôt que des vaisseaux flottant sur l’eau. Le petit bateau byzantin avança à une allure stupéfiante. Il ne semblait pas plus grand que les bateaux de
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