Byzance
Rus, avec une seule rangée de rames. La coque passée à la poix était entièrement noire, mais le bastingage, la proue et la poupe relevée étaient décorés d’arabesques d’or et d’émail rouge. Le pont de bois, peint d’un blanc éblouissant, était équipé d’énormes arbalètes montées sur roues. La plupart des hommes sur le pont portaient des justaucorps d’acier ou des byrnnies d’acier bleuté, ainsi que des casques coniques.
Le vaisseau byzantin se rapprocha, et ses avirons effleurèrent la coque du bateau de Haraldr. Une silhouette en armure, sans doute un officier, s’avança vers le bastingage accompagné par l’unique civil. La tête de l’officier était découverte, et la brise agitait ses cheveux bouclés. Sa barbe semblait bien taillée. L’homme à ses côtés portait une longue robe noire, du cou aux orteils. Il avait un crâne tondu sur un visage tordu.
Le vent se tut. Haraldr entendit des bribes de la conversation entre les deux hommes. Il descendit du mât, aussitôt suivi par Gleb.
— Haraldr Norb… Nordbriv ! cria l’homme en noir.
Son accent, quand il parlait la langue du Nord, n’était pas aussi bon que celui de Grégori.
— Vous vous trouvez présentement sous l’autorité de Michel, Seigneur du Monde entier, empereur, autocrate et basileus des Romains. Sa Majesté impériale a envoyé pour le représenter le droungarios de sa flotte impériale, Nicéphore Taronite, qui a délégué le komès Bardas Lascaris.
L’officier plissa ses yeux noirs d’un air menaçant et inclina imperceptiblement la tête.
— Je suis Jean Stéthatos, continua l’homme en noir, secrétaire temporaire au Bureau des Barbares, sous les ordres du logothète du Dromos, et je parle au nom du komès.
— Je suis Haraldr Nordbrikt ! Cette flotte se trouve sous mes ordres, et je parle en mon nom et au nom de ceux que je commande.
Les deux Byzantins échangèrent quelques mots rapides en grec. La question fut vite réglée. L’homme en noir cria de nouveau, en langue du Nord :
— Vous allez donner à votre flotte l’ordre d’attendre notre signal.
Il montra l’unique mât du bateau.
— Un drapeau rouge et un drapeau blanc. Ensuite vous nous suivrez sous voile, l’un après l’autre. Nous vous escorterons jusqu’à la Reine des Villes.
Le vaisseau prit place à une cinquantaine de coudées à l’avant du bateau rus. Un seul drapeau, de couleur jaune, monta à son mât. Un drapeau jaune répondit, sur l’un des mâts du dromon le plus proche. Les avirons apparurent et giflèrent la surface d’ardoise bleue du Bosphore. Les grands bateaux formèrent comme un éventail puis repartirent vers le sud en longeant les rives du détroit : on eût dit un énorme entonnoir pour entraîner la flottille de Rus sur le Bosphore… ou pour l’encercler et l’anéantir.
Haraldr se tourna vers Gleb, mais le vieux Slave continua de mâchonner en frottant sa botte contre le bordage.
— Jamais je n’ai vu une escorte d’une telle importance, dit-il. Mais jamais les Grecs ne font ce que l’on attend d’eux.
Haraldr avait déjà pris sa décision.
— Nous sommes à bord de baquets de Rus, dit-il en se forçant à sourire, et non des dragons du Nord. Que nous tentions de fuir ou que nous tentions de nous battre, à peine une dizaine de bateaux survivront jusqu’au Dniepr, et combien en resterait-il après les Petchenègues ? Non… Nous ignorons ce que pensent les Grecs, mais nous savons que ce commerce avec nous est important pour eux, sinon ils ne l’auraient pas poursuivi depuis tant d’années. Nous avons donc tout de même un avantage.
Ulfr avala sa salive et acquiesça. Gleb cracha par terre. Halldor cria l’ordre. Le drapeau rouge monta sur le mât du bateau, puis le blanc. Les avirons se mirent en branle. Gleb ordonna de hisser la voile. Le reste de la flotte de Rus suivit.
Soudain, à l’horizon, il se produisit une apparition : une ligne d’ivoire parsemée de fragments de corail et d’argent. Miklagardr…
— Kristr le pur ! s’écria Haraldr.
Du haut de la vergue, il aperçut, sur la berge de tribord, les petits dômes et les cubes qui couvraient les collines à perte de vue. Jamais des hommes n’avaient pu bâtir autant de palais ! Peut-être des dieux, mais sûrement pas des hommes.
Ulfr poussa un cri et tendit le bras vers bâbord. Non, c’était simplement impossible, même pour les dieux. Une autre Miklagardr, une autre Grande Ville
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