Byzance
de rouge du bateau. Avant que l’éclat du deuxième arc de feu ne s’éteigne, une troisième boule de flamme jaillit de la gueule monstrueuse du dromon.
Le bateau de Liachko, qui était chargé de cire, explosa. Il ne resta que des éclats de bois, et les eaux en flammes les consumèrent.
Leur travail achevé, les rangées de doubles lanternes s’éteignirent. Seuls les restes de l’incendie continuèrent d’éclairer le port, irréelle éruption des profondeurs sombres de la mer.
* *
*
Les dos des portefaix luisaient au grand soleil de l’après-midi. Haraldr descendit sur les quais et essaya de retrouver l’équilibre de la terre sous ses pieds. Jamais il ne s’habituerait au vacarme de cette ville ! C’était une cataracte humaine qui rugissait, criait et bourdonnait sans cesse.
— Cinq tonneaux de plus et terminé ! lança Gleb de son grognement le plus joyeux. Ensuite nous irons boire du vin grec et nous aurons tous le crâne en feu demain matin.
Haraldr se tourna vers Halldor pour lui demander de vérifier le progrès du déchargement des autres bateaux varègues. Il faudrait organiser une réunion pour discuter de…
— Haraldr Nor-briv ?
Haraldr baissa les yeux, surpris. Le petit homme noiraud qui lui tirait la manche ressemblait à une marmotte : visage sombre et velu. Pas plus grand qu’un enfant du Nord de cinq ans. Il portait un capuchon sale, jaune pâle, retenu autour de son cou par un ruban, et une robe de soie d’un jaune passé griffée de plusieurs accrocs. Il semblait sortir d’un terrier, mais il parlait la langue du Nord.
— Vite, vite, Haraldr Norbriv. Vous avez cinq cents Varègues avec vous. Nicéphore Argyros le sait. Oui, vraiment.
La Marmotte montra la crête de la ville où s’élevaient les grands palais.
— Nicéphore Argyros. Oui, vraiment, il le sait, reprit-il avec un rire complice. Et il les veut tous les cinq cents.
Il tira brusquement Haraldr par la manche pour que celui-ci se rapproche. Son haleine sentait le poisson. Sa voix baissa en un murmure ardent.
— Nicéphore Argyros vous offre cinq besants par homme, et la solde sera de…
La Marmotte s’écarta et ses pupilles se dilatèrent de peur. Il se réfugia derrière Haraldr.
Des sabots de chevaux résonnèrent sur les pavés de la rue descendant vers le quai. Montés sur de splendides chevaux blancs, deux douzaines d’hommes en courte tunique rouge, plastron de bronze et fustanelle de bandes de cuir, s’avancèrent au milieu de la cohue des quais. Ils portaient des glaives courts et des lances à longue hampe décorées d’oriflammes rouge et or.
Les cavaliers s’arrêtèrent en formation à quelques pas de Haraldr. Un seul d’entre eux s’avança et baissa les yeux vers le Nordique. L’homme avait des cheveux bruns coupés court, une barbe et une peau sombre tannée comme du cuir. Ses yeux durs, implacables, avaient la couleur de la mer de Rus à l’aurore.
Par-dessus l’épaule de Haraldr, il vit le petit bonhomme qui rentrait la tête dans les épaules. Il explosa en un déluge d’obscénités, baissa sa lance et en piqua la Marmotte qui décampa sans réclamer son reste. Il se tourna ensuite vers un beau cavalier blond du premier rang et parla très vite. Haraldr reconnut les mots Nicéphore Argyros, Varègue, basileus. Le cavalier sombre semblait sans humour, mais le blond sourit, en montrant des dents parfaites, et secoua la tête.
— Haral-tes Nor-vit. Dé-solé. Pas… parler tauro-scythe.
L’homme brun leva la main.
— Attendez.
Haraldr comprit son nom, si déformé qu’il fût, et le sens du message. Mais tauro-scythe ? Était-ce le nom que donnaient les Grecs au peuple du Nord ? Deux autres personnages sortirent de la cohue des quais et se dirigèrent vers lui. Ils avaient relevé tous les deux le bas de leurs longues tuniques de soie bleue et ils marchaient sur les pavés avec autant de précautions que s’ils étaient couverts de bouse de vache. Haraldr reconnut sur-le-champ le légatharios arrogant qui avait si soigneusement évité de croiser son regard la veille, et le petit interprète blond qui lui avait indiqué les conditions du traité.
Comme la veille, l’interprète portait une liasse de documents, écrits sur une curieuse membrane très mince et souple, différente du parchemin que Haraldr avait pu voir dans le passé. Les lettres impeccablement écrites à l’encre couraient sur la page comme des insectes affairés. L’interprète
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