Byzance
grains de sable, fouettèrent son visage brûlé par le soleil. Il concentra son attention sur les mâts. Il y en avait tellement ! Trois par bateau. Et tellement de voiles, si proches les unes des autres. Surprenant… Puis il comprit l’ordre de la formation et il remercia Odin à mi-voix. C’était ce qu’il avait escompté : les bateaux sarrasins naviguaient en remorque, par groupes de trois à douze, et ils tanguaient et roulaient de façon curieuse ; les coques se heurtaient souvent.
— Vous êtes vraiment aussi rusé qu’Odin, dit Ulfr après avoir observé la marche curieuse de la flotte sarrasine. J’espère que vous aurez autant de chance que de ruse.
Halldor fit un signe du bras, comme pour bénir les bateaux sarrasins. Sa byrnnie luisait de sueur et ses dents étaient aussi blanches que des os desséchés sur son visage tanné.
— Une flotte fantôme, dit-il. Pareille à une armée de faux feux de camp. À mesure que les hommes sont morts de soif, ils ont abandonné un bateau après l’autre, et ils traînent les bateaux vides en remorque pour nous faire croire que leurs forces sont restées intactes.
— Voici sans doute leur vaisseau amiral, dit Ulfr en montrant du doigt un bateau à haut bordage surmonté par une sorte de château à l’arrière.
Il avait trois mâts séparés. Il manquait une demi-douzaine de rames sur le côté visible. Malgré le désordre de plus en plus manifeste au sein de la flotte fantôme, la plupart des bateaux étaient gréés de façon à courir sous le vent et le vaisseau amiral glissait fièrement à l’avant des longues files secouées par la houle. Haraldr l’observa longuement. Odin aimait les ruses. Un équipage au complet occupait le pont supérieur du bateau de tête, ainsi que de la demi-douzaine de navires qui le suivaient. Des armures d’acier scintillaient sur des robes blanches, des fers de lance brillaient ainsi que des épées courbes aux reflets d’argent, en rangs impeccables.
— Nous changeons les ordres ? demanda Halldor.
— Non, répondit Haraldr, d’un air absent, comme si la peur le paralysait. Odin m’a conduit ici. Si Odin a l’intention de m’offrir aux corbeaux aujourd’hui, dix mille hommes ne suffiraient pas à me sauver.
« Est-ce la chaleur ? se demanda-t-il en songeant à la folie qu’il envisageait. Ou bien simplement le destin ? »
— Parez à l’abordage ! cria Ulfr.
La galère pivota, parallèle à la coque du vaisseau amiral et se mit en position pour un abordage rapide. Ulfr et Halldor saisirent les grappins, comme hypnotisés par la fureur divine de Haraldr. Mais pourquoi riait-il ainsi ? La chaleur. La chaleur et la peur l’avaient rendu fou. Elle est aussi ténue qu’un fil de soie, la ligne séparant la folie qui sauve un homme de la folie qui le perd. Odin devait avoir abandonné leur héros, mais ils partageraient avec joie son destin, quel qu’il soit.
— Regardez ! cria Haraldr sans cesser de rire. Mes ennemis devront renvoyer leurs invités importuns avant de pouvoir se battre !
Halldor et Ulfr levèrent la tête, déconcertés par les paroles de Haraldr. Ils n’en crurent pas leurs yeux. Ulfr toussa, l’horreur lui remontait à la gorge. Des dizaines de mouettes étaient descendues sur les guerriers sarrasins. Perchées sur leurs épaules immobiles, elles dévoraient leurs yeux. La flotte fantôme possédait un équipage fantôme.
Haraldr sauta sur le pont du bateau sarrasin. La puanteur était épouvantable. Jamais il n’avait imaginé une telle pourriture – mais jamais il n’avait vécu sous un soleil si ardent. Les Sarrasins, attachés à leurs lances, étaient ficelés au bastingage. Haraldr traversa le pont, déjà gluant des fientes laissées par les oiseaux charognards, et sentit planer autour de lui les esprits des cadavres sans sépulture – leurs plaintes montaient avec les miasmes dans ses narines. Il se dirigea vers l’avant, au milieu des cris affreux des oiseaux, encore plus affolants que les croassements de corbeaux affamés. Puis il vit la porte de la cabine entrouverte à l’arrière du bateau. Il se demanda ce qu’était la tache bleue près du bois aux veines roses. Le bateau roula et la porte grinça. Soudain elle s’ouvrit à la volée.
Le cimeterre frappa Emma, la byrnnie de Haraldr, avec un grincement douloureux. Mais le bruit était beaucoup plus inquiétant que le choc. Haraldr para avec son bouclier et eut l’impression
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