Byzance
une ferme d’Islande. Mar avait appris sa leçon avec Hakon. Quand il avait fait élever Hakon au rang de manglavite, il avait cru nécessaire de trouver un homme foncièrement vicieux – le vice ne s’apprend pas – sans tenir compte de son degré d’intelligence. Mar s’était dit qu’il avait à lui seul assez de cervelle, et même de reste, pour les cinq cents membres de la Grande Hétaïrie. Mar était en tout cas assez intelligent pour comprendre qu’il avait commis une erreur. Ostenson faisait partie de la nouvelle stratégie de Mar : il voulait s’entourer d’hommes qui ne se trouvaient pas à court de mots après avoir prononcé hache, bière et con. Le nouveau centurion avait assez de finesse pour comprendre les complexités du pouvoir romain, si on les lui montrait. Et il était grand temps que commence l’éducation de Thorvald Ostenson.
— Normalement, j’aurais refusé que mes services s’occupent d’un fonctionnaire d’aussi bas niveau, expliqua Mar à son subordonné aux traits rudes mais à l’œil vif. Pourtant, en la circonstance, cela sert mes objectifs personnels.
Il s’arrêta, comme un mentor enseignant les runes.
— Tu comprends l’importance de l’Anatolie et des autres thèmes de l’Est, non ?
Ostenson hocha la tête. Il savait que l’Anatolie était le plus riche des dix-huit thèmes, ou provinces d’Asie, et donc le grenier de l’empire.
— La richesse des thèmes de l’Est, continua Mar sur le ton de pédagogue qu’il avait appris à force d’écouter les interminables discours dans les antichambres de l’empereur, ne se limite ni aux innombrables sacs de blé qu’ils fournissent aux entrepôts impériaux, ni à l’extraordinaire récolte d’impôts qu’ils offrent au Trésor impérial. L’Est est une réserve d’hommes, une force militaire : la clé des armées provinciales.
Ostenson acquiesça de nouveau. Il comprenait. Chaque thème avait le pouvoir de mobiliser une armée de citoyens, d’une part pour protéger ses frontières contre les incursions ennemies mais aussi pour renforcer la Taghmata impériale (l’armée de métier, mobilisée en permanence et stationnée à Constantinople) en cas de conflit majeur. Dans l’hypothèse d’une mobilisation générale, les armées des thèmes pouvaient multiplier par cinq l’effectif de la Taghmata.
— Et tu comprends le système des attributions de terres à titre inaliénable ? demanda Mar, certain que le centurion ne s’était pas soucié de détails aussi obscurs.
Le regard éberlué d’Ostenson confirma ses doutes.
— Tu aurais dû te dire, continua Mar, que ces soldats-laboureurs ne peuvent pas transformer par magie leurs charrues en épées et leurs tuniques de toile en armures. Si tu voyages un jour en Asie Mineure comme je l’ai fait, tu seras frappé par la prospérité des petites fermes : les champs de blé et les vertes prairies se succèdent sans fin. Depuis des siècles, la loi romaine exige que chacune de ces petites fermes prospères, appartenant en toute propriété aux paysans qui les cultivent, fournisse et équipe un soldat prêt à intervenir en tout temps dans l’armée thématique. Les empereurs ont compris depuis longtemps que le pouvoir romain dépend de la survie de ces petites fermes militaires, et pendant des siècles ils ont fait appliquer strictement les lois interdisant l’achat de ces terres par les dynatoï.
Ostenson plissa les yeux. Non seulement les dynatoï jouissaient de fortunes séculaires fondées sur leurs vastes domaines agricoles, mais ils détenaient la majorité au Sénat et avaient placé des hommes de paille aux postes les plus importants de la hiérarchie militaire de l’empire. Les dynatoï étaient tous pleins de vanité, enclins à l’ostentation, insupportablement arrogants. Si l’un d’eux faisait un faux pas et se retrouvait à la prison de la Numéra, les centurions varègues tiraient au sort le privilège de s’occuper de lui.
— Malheureusement, poursuivit Mar sur le ton onctueux qu’il prenait pour critiquer la politique officielle, les lois sont récemment devenues de plus en plus difficiles à appliquer. Les petits propriétaires, accablés d’impôts par les agents du fisc et harcelés par les autorités militaires régionales, ne songent plus qu’à esquiver leurs obligations en vendant illégalement leurs fermes aux dynatoï. De leur côté, les dynatoï ne sont que trop heureux de l’aubaine. Ils
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