Byzance
d’elle était un vaste plateau d’azur dont les rebords semblaient d’or pur. Elle avait froid et il était comme le soleil : ses cheveux formaient un halo d’or au-dessus d’elle.
« Mar ? »
De nouveau les bulles d’argent. Ce n’était pas Mar. L’autre. Pareil à un soleil. Mais le soleil était parti, et la mer aux scintillations d’opale les éclairait d’en bas.
Les bateaux volaient au-dessus de l’horizon assombri et la lueur bleue de la mer illuminait les visages – des centaines de visages, creux et fantomatiques, en train de lancer des obscénités entre leurs dents mortes. Le soleil aux blonds cheveux les chassait et ils flottaient au loin comme des feuilles mortes sous la brise. Le blond monta à bord puis s’en alla, et elle sentit son cœur se déchirer d’une douleur réelle. Quand il réapparut devant elle, il avait pris le soleil dans un coffre de bois. Ses mains dispensèrent de la lumière et elle sentit l’incandescence brûlante quand il la souleva dans ses bras.
— Il vous dit que ce sont les Colonnes d’Hercule, Haraldr Nordbrikt. Le bout du monde.
La Marmotte, Haraldr et le pilote byzantin se tenaient à la proue de la galère de Nicéphore Argyros. Le pont roulait sous le vent du sud. Si la Marmotte n’avait pas été embarqué de force comme interprète dans cette maudite expédition contre les pirates, le pilote n’aurait pas pu prévenir ces Barbares téméraires qu’ils se dirigeaient vers des eaux inconnues.
— Il y a une mer au-delà des Colonnes, dit Haraldr.
Il tendit le bras vers l’ouest. Un soleil fondu planait au-dessus de l’horizon liquide, couleur d’acier. Il discerna le vague changement de couleur qui signalait une langue de terre s’avançant dans la mer.
— Oui, une mer. Mais il ne serait pas sage de s’y aventurer sur une grande distance, Haraldr Nordbrikt. C’est le fossé qui sépare le monde des hommes des murailles qui soutiennent la voûte du firmament.
La Marmotte dessina avec ses mains la forme d’une boîte.
— Pour empêcher les vivants d’atteindre ces murailles et de monter au Paradis, le Seigneur a peuplé cette mer de tous les monstres imaginables, certains si effrayants que leur apparition suffit à faire voler un bateau en éclats.
Haraldr traça de ses deux mains la forme d’une sphère.
— Le monde est rond et n’a pas de murs.
La Marmotte poussa un soupir.
— Oui, Haraldr Nordbrikt ! C’est l’opinion de certains hérétiques de la cour, des hommes qui en savent trop et qui lisent les écrits des anciens Grecs païens.
La Marmotte se haussa sur la pointe des pieds pour se rapprocher de l’oreille de Haraldr.
— Haraldr Nordbrikt, croyez-moi, évitez d’avoir ces hérétiques pour amis, et ne vous faites pas des ennemis de leurs ennemis, lança-t-il entre ses dents. Croyez-moi, ne parlez plus de cette Terre comme si elle avait la forme d’un melon de Perse.
Haraldr se détourna. Les confidences décousues, souvent contradictoires, de son interprète commençaient à l’agacer. Au bout de presque quatre mois de mer, la Marmotte ne lui avait donné que des aperçus disparates de la vaste structure du pouvoir des Griks – non, des Romains, se rappela-t-il. Comme si, même au bout du monde, la Marmotte sentait encore une épée suspendue au-dessus de sa tête.
Haraldr se souvint alors de l’épée en suspens au-dessus de sa propre tête, et les corbeaux battirent des ailes dans son ventre… Chaque jour depuis quatre mois, il éprouvait la même souffrance mais il ne pouvait rien révéler à Halldor, à Ulfr et au reste de ses hommes liges de ce qui s’était passé au cours de sa rencontre avec Mar. Comment surtout leur dire que Mar Hunrodarson possédait le pouvoir de les empêcher tous de revoir leur patrie ? Quel destin Mar préparait-il en ce moment même ? Haraldr n’avait eu aucune nouvelle de l’hétaïrarque pendant la semaine passée au quartier de Saint-Mammas à préparer leur voyage. Mais à présent, seul dans la nuit tombante sur cette mer lointaine, il sentait la présence de Mar comme un nœud coulant de plus en plus serré autour de son cou. Il se réveillait souvent en sursaut, incapable de respirer. Et quels étaient ces autres ennemis auxquels Mar avait fait allusion – ne seraient-ils pas encore plus redoutables que l’hétaïrarque animé par la Rage ?
Mais lorsqu’il envisagea de continuer sa route à travers les Colonnes d’Hercule vers le
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