Cadix, Ou La Diagonale Du Fou
légèrement rabattu,
encadrant son visage et faisant ressortir ses yeux intelligents. Et elle s’est
intéressée à tout : aux huit canons de 6 livres, quatre par côté,
avec deux sabords de chasse ouverts à l’avant, prêts à servir ; aux
chandeliers destinés à recevoir les espingoles et les perriers de moindre
calibre ; aux listeaux cloués en éventail sous la barre pour que le timonier
ne perde pas l’équilibre en cas de forte gîte ; à la pompe aspirante
placée derrière la claire-voie du carré ; aux étambrais derrière le mât
qui servent de passage aux câbles des ancres, et au long beaupré presque
horizontal, aligné à bâbord de la coursive. Tout cela étant caractéristique,
lui expliquait le second, de cette classe de navires rapides et légers,
capables de déployer beaucoup de toile sur un seul mât et parfaits pour la
course, le courrier et la contrebande, que les Français appellent cotres, les
Anglais cutters, et nous communément balandras. Contre toute
attente, Pepe Lobo a trouvé la propriétaire de la maison Palma très à l’aise en
matière de mer et de navires, à tel point qu’il l’a entendue s’intéresser
également au gréement et aux manœuvres, à l’absence de haubans extérieurs pour
plus de résistance à la houle, et surtout au magnifique mât, avec son
inclinaison prononcée vers l’arrière : en bois de Riga flexible et
résistant, sans nœuds, précédemment grande vergue d’un des vaisseaux français
de soixante-quatorze canons ayant appartenu à l’escadre de l’amiral Rosily.
Ils ont eu un aparté – le deuxième, depuis qu’ils se
connaissent –, quand Lolita Palma a décliné l’invitation à visiter
l’entrepont. Je préfère demeurer ici, a-t-elle dit. La journée est splendide,
et l’intérieur des bateaux m’incommode un peu : l’air y est trop
irrespirable. Aussi je vous prie, messieurs, de m’excuser. Ricardo Maraña est
descendu avec les Sánchez Guinea, dans l’intention de leur offrir un verre de porto
dans le carré, et elle est restée adossée dans l’angle formé par le tableau
arrière et la lisse en se protégeant du soleil avec son ombrelle ouverte, tout
en contemplant, à peu de distance, dans la réverbération de la lumière sur
l’eau, l’imposante masse fortifiée de la Porte de Terre, les voiles des grandes
et petites embarcations allant et venant de toutes parts. C’est là que Pepe
Lobo et l’héritière de la maison Palma se sont parlé pendant un quart
d’heure ; et à la fin de la conversation, qui n’a porté sur rien
d’extraordinaire ni de profond mais seulement sur les bateaux, la guerre, la
ville et le trafic maritime, le corsaire s’est trouvé confirmé dans son idée
que cette femme encore jeune, étonnamment instruite et cultivée – sa
maîtrise du vocabulaire technique anglais et français l’a surpris –, n’est
pas comme celles qu’il a connues jusque-là. Qu’il y a chez elle quelque chose
de différent : une tranquille résolution intérieure qui inclut des
renonciations disciplinées, quelques certitudes et une intuition naturelle pour
juger les hommes sur leurs actions et leurs paroles. S’ajoutant à un charme
singulier, indéfinissable – serein, c’est le mot qui revient
toujours dans les réflexions de Pepe Lobo –, lié à l’agréable texture de
sa peau féminine et blanche, aux fines veines bleutées des poignets entre les
manches de dentelle et les gants de satin qu’elle portait ce jour-là, à la
bouche plaisante qu’elle garde entrouverte en écoutant, même quand celui qui
parle est le capitaine corsaire qui ne semble pas jouir de sa plus vive
sympathie – c’est du moins ce qu’il a déduit des façons polies et un peu
hautaines dont elle ne s’est jamais départie. On dirait que, faisant preuve
d’une curiosité à la fois calculée et spontanée pour tout ce qui l’entoure,
Lolita Palma n’a pas perdu la faculté d’être surprise devant l’inattendu, dans
un monde peuplé d’êtres qui, la plupart du temps, ne la surprennent guère.
— Tout est en ordre, commandant, vient annoncer Ricardo
Maraña. Cargaison et destination confirmées, et rien d’autre. J’ai fait clouer
et sceller les écoutilles.
Devant l’équipage, il ne tutoie jamais le capitaine et
celui-ci lui répond sur le même mode. Toute l’équipe d’abordage est revenue de
la tartane. Les hommes déposent les armes dans les paniers d’osier au pied du
mât et
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