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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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se dispersent sur le pont, bruyants et contents, en racontant à leurs
camarades les péripéties de la capture. Dans un grand grincement des palans
d’étai, six marins hissent la chaloupe et l’arriment sur le pont, ruisselante.
Pepe Lobo jette le mégot de son cigare et s’écarte du couronnement.
    — Bonne prise, donc ?
    Maraña tousse en portant à ses lèvres le mouchoir qu’il sort
de la manche de sa veste puis remet en place, après avoir regardé avec
indifférence les taches de salive rouge.
    — J’en ai fait de pires.
    Les deux marins échangent un sourire complice. Derrière
l’écrivain qui apporte aussi la patente, le rôle et le connaissement de la
prise, le patron de la tartane monte sur le pont : un personnage épais, à
favoris blancs, le teint couleur brique ; d’un certain âge, il fait la
tête d’un homme qui voit le monde s’effondrer sous ses pieds. Il est espagnol,
comme la plus grande partie de son équipage où ne figure aucun Français. Maraña
lui a permis de rassembler ses affaires dans un petit coffre de cabine apporté
par les hommes de l’équipe d’abordage, qui maintenant, abandonné sur le pont,
accentue son aspect pathétique.
    — Je regrette de devoir retenir votre bateau, lui dit
Pepe Lobo en portant la main à son chapeau. Il sera convoyé avec sa cargaison et
ses papiers de bord, car je le considère de bonne prise.
    Tout en parlant, il sort de sa poche l’étui à cigares et lui
en offre un, mais l’autre le refuse d’un geste qui frise le coup de poing.
    — C’est une violation du droit des gens, balbutie-t-il,
indigné.
    Le capitaine de la Culebra range l’étui.
    — Je possède une lettre de marque en règle, comme a dû
vous le dire mon lieutenant. Vous naviguez avec une cargaison consignée dans un
port ennemi, et cela signifie se livrer à de la contrebande de guerre. En outre,
vous ne vous êtes pas arrêté quand j’ai assuré mon pavillon d’un coup de canon.
Vous avez résisté.
    — Ne dites pas de stupidités. Je suis espagnol, comme
vous. Je ne fais que gagner ma vie.
    — C’est ce que nous faisons tous.
    — Cet arraisonnement est illégal… De plus, vous m’avez
approché avec le pavillon français.
    Pepe Lobo hausse les épaules.
    — Avant d’ouvrir le feu j’ai hissé l’espagnol, et donc
tout est en règle… De toute manière, quand nous serons au port, vous pourrez
faire votre réclamation de mer. Mon écrivain est à votre disposition.
    Pendant qu’on emmène en bas le patron de la tartane, Pepe
Lobo se tourne vers le second qui a assisté, amusé, au dialogue sans ouvrir la
bouche.
    — Faites border les écoutes. Cap ouest quart sud-ouest
pour éviter l’Aceitera. Ensuite, droit en haut.
    — À Cadix, donc.
    — À Cadix.
    Maraña acquiesce, impassible. Avec l’air de penser à autre
chose. Il est le seul à bord à ne pas montrer sa satisfaction de descendre à
terre, mais cela fait aussi partie du personnage. Pepe Lobo sait que, dans son
for intérieur, le second est content de pouvoir renouer avec les risques de ses
voyages nocturnes à El Puerto de Santa María. Le problème est qu’à ce jeu-là il
peut être surpris à mi-route par les uns comme par les autres. Et que, fidèle à
lui-même jusqu’au bout, le Petit Marquis ne se laissera pas prendre
vivant – pan ! pan ! et ensuite le sabre, par exemple –,
allant jusqu’aux ultimes conséquences de sa fuite en avant. Tout à fait son
genre. Et la Culebra se retrouvera sans second.
    — Nous irons de conserve avec la tartane, en
l’escortant. Je me méfie de la felouque de Rota.
    Maraña acquiesce de nouveau. Lui aussi se méfie du corsaire
français qui, depuis le début de l’année, capture tout navire imprudent,
espagnol ou étranger, qui s’approche trop de la côte entre la pointe Camarón et
le cap Candor. Occupée à des actions de plus grande envergure, la marine de
guerre, qu’elle soit anglaise ou espagnole, n’a pas réussi à mettre fin à ses
exploits. L’audace du Français augmente avec son impunité : voici quatre
semaines, par une nuit de faible lune, il a même réussi, au nez et à la barbe
des canons du château de San Sebastían, à s’emparer d’une goélette turque qui
transportait des noisettes, du blé et de l’orge. Le capitaine de la Culebra lui-même a fait directement l’expérience du danger que représente la felouque,
commandée, d’après ce qu’on lui a dit à Cadix – toute la baie

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