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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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surnommé
« l’Écossais » bien qu’il s’appelle Machuca et soit de San
Roque – qui les a entendus. Puis, pendant que Brasero se dirige vers
l’avant en vérifiant que tout est bien rangé sur le pont, les écoutes et les drisses
claires pour la manœuvre, les boutefeux éteints, les gargousses remisées dans
la sainte-barbe et les boulets dans leurs parcs et recouverts de toile, le
sourire se propage dans tout l’équipage. Ces hommes sont loin d’être les pires
de ceux qui étaient disponibles, surtout quand on sait que l’Armée et la Marine
royale s’efforcent de mettre la main sur tout ce qui peut porter un fusil ou
tirer sur un cordage. Vu l’époque, il n’a pas été facile de les recruter. Sur
les quarante-neuf hommes qui sont à bord – en incluant un mousse de douze
ans et un novice de quatorze ans –, le tiers sont des gens de mer,
pêcheurs et matelots attirés par la perspective de bonnes prises et la solde
fixe de cent trente réaux par mois – Lobo en touche cinq cents et son
second trois cent cinquante – à déduire des futurs butins. Le reste est
composé de la faune portuaire habituelle, ex-forçats sans crimes de sang qui se
sont soustraits à la levée générale en subornant les fonctionnaires terriens
avec leur prime d’enrôlement, et quelques étrangers engagés à la dernière heure
à Cadix, Algésiras et Gibraltar pour compléter le rôle et combler les
pertes : deux Irlandais, deux Marocains, trois Napolitains, un artilleur
anglais et un juif maltais. La Culebra opère depuis quatre mois ; et
sept prises dans ce laps de temps, sous réserve de ce que décideront les
tribunaux sur leur validité, signifient une campagne plus que réussie.
Suffisante pour laisser satisfaits tous les hommes, endurcis en outre par la
mer et aguerris par les combats.
    Pepe Lobo ôte son chapeau et lève la tête vers la hune,
au-dessus de l’angle de la voile qui continue de claquer, faisant grincer la
retenue de la bôme sous l’effet de la houle qui grossit.
    — Quelque chose du côté de Barbate ?
    D’en haut, on répond que non, que tout est clair. La
chaloupe revient déjà de la tartane, ramenant Ricardo Maraña, ses hommes et
l’écrivain qui serre le livre des prises sur son cœur. Lobo sort son briquet
d’une poche et, tournant le dos au vent, collé au couronnement de poupe, allume
un cigare. Un navire, c’est du bois, de la poix, de la poudre et d’autres
substances inflammables, et seuls le capitaine et le second ont le droit de
fumer à bord et à toute heure, même si, pour sa part, il use le moins possible
de ce privilège. Il n’est pas un grand fumeur, à la différence de Ricardo
Maraña ; lequel, malgré ses poumons malades et les mouchoirs tachés de
sang, expédie les cigares par paquets entiers. Douze par douze.
    Cadix. La perspective d’y mouiller ne déplaît pas non plus
au corsaire. Le cotre nécessite des réglages et des réparations, et il compte
bien faire un tour du côté du tribunal des prises, pour graisser quelques
pattes afin d’accélérer la paperasse ; encore qu’il fasse confiance aux
Sánchez Guinea pour s’en être chargés de leur côté. Juges et fonctionnaires mis
à part, le capitaine de la Culebra ne trouve pas mauvais de se dégourdir
les jambes sur la terre ferme. C’est à cela qu’il pense en expulsant la fumée
entre ses dents. Parce que ça commence à lui manquer. Se promener dans les rues
de Santa María et les tavernes de la Caleta. Oui. Lui aussi a besoin d’une
femme. Ou de plusieurs.
    Lolita Palma. Son souvenir dessine sur sa bouche une moue
ironique et d’autant plus songeuse qu’il se l’adresse à lui-même. Appuyé à la
lisse, avec le cap Trafalgar qui se profile au loin tandis que la brume côtière
se lève, Pepe Lobo réfléchit et se remémore. Il y a quelque chose chez cette
femme – ça n’a rien à voir, si insolite que ce soit, avec l’argent –
qui lui inspire des sentiments inhabituels. Il n’est pas un homme porté sur
l’introspection, mais un chasseur résolu, en quête d’une ouverture, du coup de
chance rêvé par tout marin, la fortune que la mer rend possible, parfois, pour
qui sait prendre les risques qu’il faut. Le capitaine Lobo est corsaire par
nécessité et comme une conséquence, non d’une vocation, mais d’un certain mode
de vie. Du temps qu’il lui revient de vivre. Depuis qu’il a embarqué à l’âge de
onze ans, il a vu trop de déchets humains qui

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