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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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le
bruit n’est pas garanti. Il n’est pas non plus convaincu que Fanfan et ses
frères, dût-on les charger avec l’alphabet grec tout entier, suffiront pour
contenter ses chefs. Même avec le nouveau matériel sévillan, la portée idéale
de 3 000 toises est difficile à obtenir. Le capitaine calcule qu’avec
un fort vent de levant, une température appropriée et d’autres conditions
favorables, il pourrait couvrir les quatre cinquièmes de cette distance.
Atteindre le centre de Cadix serait déjà extraordinaire. Fanfan se trouve à
exactement 2 870 toises du clocher de la place San Antonio :
Desfosseux l’a calculé au pied près sur le plan de la ville et garde ce chiffre
gravé comme une obsession dans son cerveau.
     
    *
     
    Rogelio Tizón semble possédé par mille diables. Il ne cesse
d’aller d’un endroit à l’autre, s’arrêtant pour revenir sur ses pas. Il scrute
chaque porche, chaque coin et chaque parcelle de la rue qu’il parcourt depuis
des heures. Il est dans l’apparente indécision d’un homme qui a perdu quelque
chose et regarde partout, fouillant des dizaines de fois ses poches et ses
tiroirs, repassant constamment sur les mêmes lieux, dans l’espoir de découvrir
une trace de l’objet perdu ou de se rappeler comment il l’a perdu. Le soleil va
bientôt se coucher et les recoins les plus bas et les plus étroits de la rue du
Vent commencent à se remplir d’ombre. Une demi-douzaine de chats paressent sur
un tas de décombres et d’immondices, devant une maison où des armoiries,
rongées par les intempéries, sont encore visibles sous le linge qui pend des
fenêtres supérieures. Le quartier est maritime et pauvre. Situé dans la partie
haute et ancienne de la ville, près de la Porte de Terre, il a connu en
d’autres temps une splendeur dont on ne trouve plus guère de souvenirs :
quelques petits commerçants et quelques maisons nobles transformées en
immeubles d’habitation où s’entassent des familles pauvres accablées
d’enfants ; et aussi, depuis le début du siège, des soldats et des émigrés
dépourvus de ressources.
    La maison où l’on a trouvé la fille morte est au bout de la
rue, presque au coin de celle-ci et de la petite place qui lui fait suite en
s’élargissant, près de la rue Santa María et des murs du couvent du même nom.
Tizón revient en arrière et marche lentement, regardant de nouveau à gauche et
à droite. Toutes ses certitudes se sont effondrées lamentablement, et il lui
est maintenant impossible de mettre de l’ordre dans ses idées. Il a passé la
moitié de l’après-midi à vérifier la consternante réalité : aucune bombe
n’est jamais tombée dans ces parages. Les chutes les plus proches ont été
relevées à 300 vares, dans la rue de la Tour et près de l’église de la
Merced. Cette fois, il n’est pas possible de supposer, même en forçant les
choses au maximum, une relation entre la mort d’une fille et le point d’impact
des bombes françaises. Rien de surprenant, se reproche-t-il avec amertume. En
fait, il n’y a jamais eu d’indices solides qu’une telle relation existe. Rien
que des traces dans le sable, comme tout le reste. Des pirouettes de
l’imagination, laquelle n’est jamais en mal de farces stupides. Un tissu
d’absurdités. Tizón pense à Hipólito Barrull, ce qui augmente encore sa
mauvaise humeur. Son adversaire du café de la Poste va se tordre de rire quand
il lui racontera tout.
    Le policier entre dans la maison, qui pue l’abandon et la
crasse. La lumière du soir se retire rapidement, et le couloir d’entrée est
obscur. Il reste un rectangle de lumière dans la cour, sous les deux étages de
fenêtres sans vitres et de galeries dont on a depuis longtemps arraché les
balustrades de fer. Là, sur le dallage brisé, quelques taches brunâtres, du
sang séché, indiquent l’endroit où la fille a été découverte. On l’a emportée à
midi, quand Tizón a eu fini d’inspecter le corps et de se livrer aux
investigations pertinentes. Elle était dans l’état des trois précédentes :
les mains attachées par-devant, la bouche bâillonnée, le dos nu et lacéré à
coups de fouet qui ont mis la chair à vif et découvert les os de la colonne
vertébrale, de la taille aux cervicales, les omoplates et les attaches des
côtes. En cette occasion, l’assassin s’est particulièrement acharné : on
dirait qu’un animal sauvage a dévoré la peau et la chair du dos. La fille a

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