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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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beaucoup souffrir. En enlevant le bâillon, on a constaté qu’elle s’était brisé
les dents à force de les serrer dans les convulsions de l’agonie. Insoutenable
spectacle. Près de la croûte séchée sur le sol, une tache jaune empeste encore.
Un des hommes de Tizón – individus pourtant habitués aux atrocités
routinières –, en voyant cela, a vomi tripes et boyaux.
    Vierge, a confirmé la Persil. Comme les autres. Cette fois
encore, ce n’était pas ce que cherchait le criminel. Selon l’enquête de Tizón,
la fille a disparu à la première heure de la nuit, alors qu’elle revenait chez
elle, rue du Figuier, après avoir rendu visite à une parente malade, rue
Sopranis, et acheté une dame-jeanne de vin pour son père. Le crime ne semble
pas improvisé : la fille quittait la maison de sa parente tous les jours à
la même heure. L’assassin a dû l’épier un certain temps et, hier, il a décidé
de la suivre à courte distance, de l’aborder à la hauteur de la maison
abandonnée et de la faire entrer de force dans la cour – la dame-jeanne a
été retrouvée cassée sous le porche. Il connaissait sans doute les lieux et les
avait étudiés pour préparer son forfait. Bien que l’extrémité de la rue du Vent
ne soit pas très passante, il y a des gens qui entrent et qui sortent. L’action
de l’assassin démontre une audace peu commune, car il était à la merci d’un
passant de hasard ou d’un voisin un peu curieux. Et un sang-froid
extraordinaire. Attacher et bâillonner la victime pour ensuite la déchiqueter
de la sorte, coup de fouet après coup de fouet, a exigé au moins dix ou quinze
minutes.
    Il y a quelque chose dans l’air qui intrigue le policier,
même s’il lui faut du temps pour en prendre conscience. Il s’agit de
l’atmosphère, ou plutôt de l’absence de celle-ci, ou de son altération. C’est
comme s’il y avait un point dans l’espace où la température, le son et
jusqu’aux odeurs resteraient en suspens, se transformant en vide. Quelque chose
qui se déplacerait subitement d’un lieu à un autre en passant par un point
demeuré immobile. Étrange sensation, dans un endroit qui se nomme, et ce n’est
pas un hasard – la partie du rempart exposée à la mer et aux tempêtes est
proche –, la rue du Vent. Les chats, qui ont suivi Tizón à l’intérieur de
la maison, viennent le distraire dans ses réflexions. Ils s’approchent,
silencieux et prudents, leurs yeux de chasseurs aux aguets. C’est leur territoire,
et les rats y abondent ; le cadavre de la fille portait des traces de
leurs morsures. Un chat veut se frotter contre les bottes du policier qui le
fait fuir d’un coup de canne. L’animal rejoint ses camarades qui lèchent la
tache de sang séché. Tizón s’assied sur les marches ébréchées d’un escalier de
marbre en ruine et allume un cigare. Quand il veut retrouver cette sensation,
celle-ci a disparu.
    Quatre morts et pas un seul indice qui tienne le coup. De
plus, les choses semblent devoir se compliquer. Même s’il parvient à empêcher
la famille de la fille de parler – dans les autres cas, Tizón s’en est
tiré avec de l’argent –, cette fois trop de voisins ont vu le corps. La
nouvelle aura circulé dans le quartier. Et comme si ça ne suffisait pas, un personnage
indésirable vient d’entrer en scène : Mariano Zafra, propriétaire,
directeur et unique rédacteur d’un des nombreux journaux qui sont apparus à
Cadix depuis la proclamation – néfaste, au jugement du commissaire –
de la liberté de la presse. Ce Zafra est un publiciste aux idées radicales,
dont l’activité ne s’explique que par l’épais climat politique qui règne dans
la ville. Son journal, El Jacobino Ilustrado, « Le Jacobin
éclairé », sort une fois par semaine et combine des informations sur les
séances des Cortès avec des nouvelles et des rumeurs rassemblées, sans la
moindre rigueur, dans une section appelée Calle Ancha – par
analogie avec la rue principale de Cadix – qui est aussi fouille-merde,
indiscrète et peu crédible que son auteur. Partisan en d’autres temps de Godoy,
laudateur exalté de Ferdinand après la chute du ministre, défenseur du trône et
de l’Église jusqu’il y a peu, libéral de plus en plus convaincu à mesure que
les députés de cette tendance gagnent le soutien de la population gaditane,
Zafra est de ceux qui passent sans rougir de l’opportunisme au cynisme.
L’influence

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