Cadix, Ou La Diagonale Du Fou
l’espère-t-il. En route pour le Trocadéro, cinquante-deux
bombes spéciales de la Fonderie de Séville, expressément fabriquées pour
Fanfan : des projectiles sphériques pour obusier Villantroys-Ruty de
10 pouces, sans poignées ni chevilles, calibrés et polis en deux modèles
distincts, dénommés Alpha et Bêta. Les voitures en transportent dix-huit du
premier et trente-quatre du second. Le modèle Alpha est une bombe conventionnelle
du type grenade, pesant 72 livres, avec un orifice pour l’espolette,
chargée de lest de plomb soigneusement équilibré et de poudre. La bombe Bêta,
totalement sphérique et sans espolette ni charge explosive, ne contient à
l’intérieur qu’une masse inerte de plomb avec les interstices remplis de
sable – ce qui lui permet d’éclater en mille morceaux au moment de
l’impact –, son poids s’élevant ainsi à 80 livres. Ces nouvelles
bombes sont le résultat final des travaux et des essais que Desfosseux a menés
durant les derniers mois à la batterie de la Cabezuela ; fruit de longues
observations, de nuits blanches, d’échecs et de succès partiels qui se
matérialisent maintenant dans ce que transporte le convoi. S’y ajouteront cinq
nouveaux obusiers de 10 pouces, que, sur le modèle de Fanfan et avec
diverses modifications techniques, on est en train de fondre à Séville.
— Nous utiliserons de la poudre légèrement humide, dit
soudain le capitaine.
Bertoldi le regarde, surpris.
— Est-ce que votre cerveau ne se repose jamais ?
Desfosseux désigne la poussière du chemin. C’est de là que
lui est venue l’idée. Il a baissé le foulard qui lui couvrait la figure et
sourit d’une oreille à l’autre.
— Faut-il que je sois stupide pour ne pas y avoir pensé
plus tôt.
Son adjoint fronce les sourcils en considérant sérieusement
la question.
— C’est sensé, conclut-il.
Bien sûr que oui, répond le capitaine. Il s’agit d’augmenter
l’explosion initiale de la poudre dans les huit pieds de longueur que mesure
l’âme du canon. Si celle-ci était plus courte, il y aurait peu de
différence : mieux vaudrait, en tout cas, la poudre sèche. Mais avec des
obusiers longs en bronze et de gros calibre, comme c’est le cas de Fanfan et de
ses futurs frères, la combustion moins violente de la poudre un peu humide peut
donner plus de force à la propulsion du projectile.
— Ça vaut la peine d’essayer, non ?… À défaut de
mortiers, de la poudre mouillée.
Ils rient comme des collégiens dans le dos du professeur.
Personne ne convaincra jamais Simon Desfosseux qu’en
employant des mortiers au lieu d’obusiers on ne pourrait pas obtenir de
meilleurs résultats et atteindre toute la superficie de Cadix. Mais le mot mortier continue d’être interdit à l’état-major du maréchal Victor. Pourtant, le
capitaine sait que, pour réaliser ce qu’on exige de lui, il aurait besoin d’un
plus grand diamètre de bouche à feu que celui des obusiers. Il n’en peut plus
de répéter qu’avec une douzaine de mortiers de 14 pouces dotés d’une
chambre cylindrique et un nombre égal de canons de 40 livres, il pourrait
écraser Cadix et sa population, et contraindre le gouvernement rebelle à
chercher refuge ailleurs. Avec ces moyens à sa disposition, il est prêt à
garantir sous serment une débandade générale en seulement un mois d’opérations
qui couvriraient la ville de bombes. Et avec des grenades normales, pourvues
d’espolettes, de celles qui éclatent en arrivant sur l’objectif. Des bombes
telles qu’on en fabrique tous les jours. Mais on continue à ne pas vouloir en
entendre parler. Victor, sur instructions directes de l’empereur et des
parasites de l’État-Major impérial, incapables de discuter une idée ou un
caprice, quels qu’ils soient, de Napoléon, exige d’utiliser des obusiers contre
Cadix. Et cela, insiste le maréchal à chaque réunion qui traite de la question,
signifie des projectiles qui doivent absolument tomber sur la ville, qu’ils
éclatent ou non. En échange de quelques lignes bien tournées dans les journaux
de Madrid et de Paris – « Nos canons tiennent le centre de Cadix
sous un bombardement incessant » ou quelque chose dans ce
genre –, le duc de Bellune continue de préférer beaucoup de bruit et peu
de résultats. Mais Simon Desfosseux, pour qui la seule chose qui importe dans
cette vie est de tracer des paraboles d’artillerie, a dans l’idée que même
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