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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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exécuter la moitié de la ville et expédier l’autre
moitié en prison.
    — Bien, camarade. S’ils reviennent, tends l’oreille et
tiens-moi au courant. D’accord ?… En attendant, ferme à l’heure à laquelle
tu dois fermer. Occupe-toi de tes affaires, et plus question de cartes.
    — Et l’amende ?
    — C’est ton jour de chance. Nous la laisserons à
quarante-huit réaux.
    Il fait aussi chaud à l’ombre qu’au soleil quand le
commissaire sort et traverse la place San Juan de Dios pour gagner son bureau
du commissariat aux Quartiers : une vieille bâtisse avec des grilles en
fer forgé, collée au couvent de Santa María, près de la Prison royale. Bien que
la matinée soit déjà avancée, les étals de fruits, de légumes et de poissons
fourmillent de monde sous les stores qui s’étendent de l’Hôtel de Ville au
Boquete et aux portes du quai. Attirés par les denrées exposées à la chaleur,
des essaims de mouches montent à l’assaut. Tizón desserre la cravate qui ceint
son cou et s’évente avec son chapeau. Il ôterait bien sa veste pour rester en
gilet et manches de chemise – bien que celle-ci soit en toile fine, elle
est trempée de sueur –, mais il y a des choses que les monsieurs bien
élevés, commissaires de police de surcroît, ne peuvent se permettre. Il n’a pas
la prétention de faire partie des premiers ; mais être des seconds impose
une certaine retenue. Tout n’est pas qu’avantages dans son métier et sa
position.
    Quand il tourne en passant devant le porche de pierre de
Santa María, Rogelio Tizón aperçoit de loin Cadalso, son adjoint, accompagné de
son secrétaire. Ils doivent l’attendre depuis un bon moment, car ils viennent à
sa rencontre avec l’air de gens qui apportent des nouvelles importantes. Et il
faut qu’elles le soient, estime le commissaire, pour que le secrétaire, rat de
bureau et ennemi juré de la lumière du soleil, sorte dans la rue par une
journée comme celle-là.
    — Que se passe-t-il ? demande-t-il quand ils
arrivent à sa hauteur.
    En toute hâte, les deux hommes le mettent au courant. On a
découvert une fille morte. La chaleur quitte Tizón d’un coup. Quand il finit
par articuler un mot, il sent que ses lèvres sont glacées.
    — Morte, comment ?
    — Bâillonnée, monsieur le commissaire. Et le dos
déchiqueté à coups de fouet.
    Il les regarde, désorienté, tentant de digérer la nouvelle.
Cela ne se peut pas. Il essaye de réfléchir à toute allure, mais il n’y
parvient pas. Les idées se bousculent.
    — Où cela ?
    — Tout près d’ici. Dans la cour d’une maison en ruine
qui se trouve au bout de la rue du Vent, presque au coin. Ce sont des enfants
qui l’ont trouvée en jouant.
    — Impossible.
    Le secrétaire et l’adjoint regardent leur chef avec une
curiosité inhabituelle. L’un remonte ses lunettes sur son nez et l’autre fronce
son front obtus.
    — Pourtant ça ne fait aucun doute, dit Cadalso. Elle a
seize ans et habitait le quartier… Sa famille la cherchait depuis hier soir.
    Tizón hoche négativement la tête, bien qu’ignorant encore
pourquoi. La rumeur de la mer qui bat au pied du rempart lui semble maintenant
assourdissante, comme si elle était juste sous les chaussures fraîchement
cirées par Pimporro. Le froid insolite se répand dans tout son corps et le
pénètre jusqu’à la moelle.
    — Je vous dis que c’est impossible.
    Il a frissonné et il voit que ses subordonnés l’ont
remarqué. Soudain, il sent le besoin de s’asseoir, n’importe où. De réfléchir
tranquillement. En prenant son temps et seul.
    — Elle a été tuée comme les autres ? Vous en êtes
sûrs ?
    — Exactement pareil, confirme Cadalso. Je viens de voir
le cadavre. Ça fait un bon moment que je vous cherche… J’ai dit qu’on ne laisse
pas les gens approcher et que personne ne touche à rien.
    Tizón n’écoute pas. Impossible, répète-t-il de nouveau entre
ses dents. Complètement impossible. L’autre l’observe sans comprendre.
    — Pourquoi répétez-vous ça, monsieur le
commissaire ?
    Tizón regarde son adjoint comme si c’était un imbécile.
    — Il n’est jamais rien tombé dans les parages.
    Il a dit cela sans pouvoir s’en empêcher, comme s’il
formulait une protestation. Et bien sûr, dit comme cela, ça semble absurde.
Lui-même, en entendant sa voix, en est conscient. Aussi n’est-il pas étonné de
voir Cadalso et le secrétaire échanger un regard

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