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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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compte… Ma propre terre est un bon exemple. Je n’entends parler ici
que de reconquérir Buenos Aires, et non de s’occuper des raisons du
soulèvement.
    — Mais il y en a qui restent fidèles, monsieur. Comme
l’île de Cuba, la vice-royauté du Pérou et bien d’autres.
    C’est maintenant José Mexía Lequerica qui intervient. Lolita
Palma le connaît, car ils partagent tous les deux la même passion pour la
botanique. Ils se sont rencontrés à plusieurs reprises au domicile du vieux
maître Cabrera, dans le jardin du Collège de chirurgie ou dans les librairies
de San Agustín. Connu pour être un philosophe gagné aux idées françaises des
Lumières, partisan de l’égalité entre habitants des Amériques et de la
Péninsule, le député – toute la ville est au courant – vit dans la
rue du Feu avec Gertrudis Salanova, une jolie Gaditane qui n’est pas son
épouse. Lolita les a vus se promener, bras dessus bras dessous et sans souci
des préjugés, sur la place San Antonio et l’Alameda. Du fait des prises de
position politiques du personnage, les commentaires piquants sur sa vie vont
bon train dans les conversations de salon.
    — Ne vous y trompez pas, objecte Mexía, avec son doux
accent de Quito. Beaucoup, en Amérique, sont encore retenus par la peur d’une
révolution des Indiens et des esclaves noirs. Ils voient la monarchie espagnole
comme la garantie de l’ordre… Mais s’ils se sentent assez forts pour régler
seuls la question, chez eux aussi les choses changeront.
    — Ce qu’il nous faut, c’est une main de fer, tranche
quelqu’un. Obliger les rebelles à respecter l’autorité légitime… Profiter de
l’invasion française et de la détention du roi pour se donner l’indépendance,
c’est une forfaiture et une infamie !
    — Non, excusez-moi, dit l’Américain. C’est simplement
une occasion qui se présente. Car c’est le chaos qui règne en Espagne qui est à
l’origine de cette situation… Même ici, on n’est pas d’accord sur la manière de
conduire la guerre, avec nos généraux, la Régence et les juntes qui se marchent
mutuellement sur les pieds !
    Silence général. Embarrassé. Lolita les voit se regarder
entre eux. Mexía lui-même semble conscient d’être allé trop loin : il lève
une main comme pour effacer ses dernières paroles.
    — Et c’est vous, des députés aux Cortès, qui parlez
ainsi, remarque amèrement Miguel Sánchez Guinea.
    L’Américain se tourne vers lui, tandis que le père donne des
petites tapes sur le bras de son fils pour l’empêcher de poursuivre.
    — C’est justement pour cela, monsieur, réplique-t-il
non sans hauteur. Parce qu’un jour l’Histoire nous jugera.
    Quelqu’un, dans le cercle, hausse le ton. Lolita le connaît.
Il se nomme Ignacio Vizcaíno : un importateur de cuirs ruiné par le
soulèvement du Rio de la Plata.
    — Tout ça n’est qu’une conspiration des Anglais pour
nous chasser d’Amérique !
    Avec un sourire dédaigneux, Mexía lui tourne le dos comme si
cela ne méritait pas de réponse. C’est Jorge Fernández Cuchillero qui s’adresse
à l’exalté.
    — Même pas, corrige-t-il avec calme. En réalité, peu de
gens, là-bas, avaient l’intention d’aller si loin. C’est seulement une absence
de système… Le désastre d’une administration archaïque, incapable et
définitivement disloquée par la guerre, qui menace de rompre les liens de la
fraternité qui doivent unir les Espagnols des Deux Mondes.
    L’homme fusille le créole du regard.
    — Vous osez encore vous dire espagnol ?
    — Naturellement !… C’est pour cela que je suis à
Cadix avec mes collègues, en représentant de ma double patrie. C’est pour cela
que je travaille à une Constitution qui soit bonne pour les deux rives, qui
fasse les hommes libres ici et là-bas. Qui mette un terme aux privilèges d’une
aristocratie oisive, d’une administration inutile et d’un clergé pléthorique et
souvent ignare. C’est pour cela que j’accepte de bonne grâce de discuter avec
vous… En essayant de vous faire comprendre que, si le lien se rompt, ce sera
pour toujours.
    Les portes de San Felipe Neri s’ouvrent pour la reprise de
la séance, cette fois sans public dans les tribunes. Miguel Sánchez Guinea lève
un doigt, décidé à ajouter quelque chose avant que les députés américains ne
s’en aillent ; mais une explosion sèche, proche, fait vibrer le sol et les
édifices, interrompant les

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