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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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l’aide apportée à l’Espagne dans sa guerre contre Napoléon et sous
prétexte de collaborer à la pacification des provinces rebelles d’Amérique,
l’Angleterre pratique depuis un certain temps dans les ports de ce continent.
Villanueva craint que les traités commerciaux exigés par Londres ne portent un
préjudice irréparable aux intérêts espagnols de l’Outre-mer. Etcetera.
    Lolita qui écoute avec attention constate que, comme elle
s’y attendait, les ecclésiastiques sont nombreux dans l’assemblée ; et que
beaucoup d’entre eux, malgré leur état religieux, sont partisans de la
souveraineté nationale face à l’absolutisme royal. De toute manière, tout Cadix
sait que, en dehors d’un nombre réduit de convaincus des deux bords –
réformistes radicaux d’un côté et monarchistes intransigeants de
l’autre –, la position du gros des députés est flexible : selon les
questions à débattre, surgissent entre eux des attitudes diverses et mêlées,
parfois de surprenants paradoxes idéologiques. En général, la majorité se
montre favorable aux réformes, malgré sa filiation originelle, catholique et
monarchique. D’ailleurs, dans le climat libéral qui est le propre de Cadix, les
partisans de la nation souveraine jouissent de plus de sympathies que les
défenseurs du pouvoir absolu du roi. Cela permet aux premiers – plus
brillants, en outre, en matière d’art oratoire – d’imposer facilement
leurs points de vue, et met leurs adversaires sous une forte pression de
l’opinion publique dans une ville radicalisée par la guerre, dont les classes
populaires peuvent se transformer, si l’on en perd le contrôle, en éléments
dangereux.
    Telle est la raison, aussi, pour laquelle certaines
questions délicates sont débattues en séances secrètes, sans public. Lolita
sait que le problème des Anglais et de l’Amérique est de ceux qui sont traités
à huis clos. Ce qui n’est pas sans susciter des rumeurs et des inquiétudes
auxquelles on tente très politiquement de mettre un terme, comme aujourd’hui,
par une séance publique. Néanmoins, tout se révèle plus polémique qu’on ne
l’avait prévu. Le comte de Toreno vient de prendre la parole pour montrer un
libelle affiché sur certains murs de la ville, dont le titre est La Ruine
des Amériques occasionnée par le libre commerce avec les étrangers. On y
critique les facilités accordées aux négociants et navires anglais, et l’on y
attaque les députés américains présents aux Cortès qui demandent l’ouverture de
tous les ports et la liberté de commerce. Mais, y est-il dit aussi, les villes
espagnoles qui seraient les principales lésées doivent faire entendre leur
voix. Leurs intérêts sont différents.
    — Elles en ont le droit, termine le jeune homme en
brandissant bien haut le libelle. Parce que c’est notre commerce qui paiera,
comme il le paie déjà, le prix insupportable de nos hésitations en Amérique.
    Ses paroles soulèvent des applaudissements dans la galerie
et chez quelques invités. Lolita, elle aussi, a envie d’applaudir, mais elle se
retient ; et elle se félicite de sa prudence quand le président, agitant
sa clochette, rappelle le public à l’ordre et menace de faire évacuer les
galeries.
    — Regarde la tête de sir Henry, chuchote Miguel Sánchez
Guinea.
    Lolita observe l’ambassadeur anglais. Wellesley est immobile
sur son siège, ses favoris plongeant dans le col de sa veste de velours vert,
la tête penchée vers son interprète qui lui traduit à voix basse les
expressions qu’il ne comprend pas bien. Le visage est maussade, comme
d’habitude ; mais non sans raison cette fois, suppose-t-elle. Il n’y a
rien d’agréable à s’entendre critiquer par les alliés dont l’aile
conservatrice, opposée aux réformes politiques et à l’idée de régénération
patriotique, bénéficie en sous-main de tous ses efforts et de l’or de son
gouvernement. Le boycott de Londres de toute initiative des Cortès qui renforce
la souveraineté nationale en Espagne, son influence à l’extérieur ou le
contrôle de l’insurrection américaine, frise souvent l’impudence.
    — Il n’a pas pu tous les acheter.
    Ce sont maintenant des députés américains qui interviennent,
et parmi eux Jorge Fernández Cuchillero. Lolita, qui n’avait jamais vu son ami
discourir en public, suit son exposé avec intérêt. Il défend avec éloquence
l’urgence de modifier le système

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