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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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commercial des Amériques face à une triple nécessité :
contenter les alliés britanniques, satisfaire ceux qui réclament des réformes
indispensables Outre-mer, et donner des arguments de poids à ceux qui, loyaux
envers l’Espagne, s’opposent là-bas à l’insurrection indépendantiste.
    Pour cela, ajoute-t-il, il est nécessaire de révoquer
certaines lois des Indes incompatibles avec les libertés que réclament les
temps nouveaux.
    — Si ces Cortès, termine le représentant du Rio de la
Plata, proclament le principe d’égalité entre Espagnols européens et américains,
une évidence s’impose : dès lors que les Européens sont autorisés à
commercer librement avec l’Angleterre, nous devons, nous les Américains, et
pour la même raison, l’être aussi… Il ne s’agit de rien d’autre, messieurs, que
de garantir par des lois ce qui est déjà là-bas une pratique quotidienne et
clandestine.
    Un autre député américain prend la parole pour appuyer son
collègue : le représentant de la vice-royauté de la Nouvelle-Grenade, José
Mexía Lequerica – bel homme, cultivé et perspicace, étiqueté franc-maçon –,
qui se livre à une sombre description de la manière dont l’intransigeance de la
métropole face aux intérêts des créoles alimente l’état de guerre qui sévit sur
sa terre, comme au Rio de la Plata, au Venezuela et au Mexique, où la capture
du prêtre rebelle Hidalgo – on attend d’un jour à l’autre à Cadix la
nouvelle de son exécution – ne garantit en rien, à son avis, la fin des
troubles. Au contraire.
    — Le remède pour empêcher ou pour reporter la rupture
des liens, conclut-il, est de donner du mou à la corde et non de tirer dessus
jusqu’à ce qu’elle se rompe.
    — Et nous, il ne nous restera plus qu’à pourrir sur
place, murmure, irrité, Miguel Sánchez Guinea.
    Très intéressée, Lolita Palma s’évente sans perdre un mot du
débat. Elle trouve naturel que Fernández Cuchillero, Mexía Lequerica et les
autres Américains prêchent pour leur chapelle. Et tout autant, que les députés
réactionnaires ou tièdes soutiennent sans condition les Anglais qu’ils
considèrent comme une garantie de l’autorité royale et de la religion face aux
divagations révolutionnaires. Mais elle sait aussi que, du point de vue
gaditan, Miguel Sánchez Guinea a raison : l’égalité commerciale apportera
la ruine aux ports espagnols de la Péninsule. Elle réfléchit à la question
pendant qu’elle écoute un autre député, l’Aragonais Mafias, qui intervient pour
demander si de telles propositions incluent l’accès libre aux commerces
américain et philippin, rappelant au passage la concurrence que les soies
chinoises peuvent faire aux valenciennes, malgré la meilleure qualité de ces
dernières. Fernández Cuchillero demande la parole et insiste avec beaucoup de
véhémence sur le fait qu’il y a déjà longtemps que les Anglais et les
Américains du Nord commercent là-bas clandestinement.
    — Il s’agit seulement, résume-t-il, de transformer la
contrebande qui existe en une activité légale. De normaliser l’inévitable.
    D’autres députés américains interviennent successivement
pour appuyer le représentant du Rio de la Plata, suivis du conservateur catalan
Capmany, qui est considéré comme le porte-parole officieux de l’ambassadeur
anglais aux Cortès. Un autre encore vient suggérer que l’on pourrait autoriser
l’Angleterre à commercer en Amérique pour un temps limité, et Manas lui répond,
avec un regard appuyé en direction de la tribune des diplomates, que les mots temps
limité sont inconnus des Anglais. Il n’y a qu’à voir Gibraltar, sans aller
plus loin. Ou se souvenir de Minorque.
    — Notre commerce, affirme-t-il catégoriquement, notre
industrie, notre marine ne se rétabliront jamais si l’on permet aux étrangers
d’apporter leurs produits avec leurs propres navires dans nos possessions
d’Amérique et d’Asie… Chaque concession que nous ferons dans ce sens sera un
clou de plus planté sur le cercueil des ports espagnols… Souvenez-vous de ce
que je vous dis, messieurs : des villes comme Cadix seront effacées de la
carte.
    Au milieu des applaudissements – cette fois, Lolita
Palma ne peut s’empêcher d’y joindre les siens –, Manas ajoute que des
lettres en provenance de Montevideo prouvent que l’Angleterre prête son appui
aux insurgés de Buenos Aires – en entendant cela,

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