Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
Vom Netzwerk:
et tout le tralala. Ce qu’il y
a de bien, avec la table, c’est qu’elle ne laisse pas de traces. Dans cette
position, l’intéressé s’asphyxie tout seul. C’est juste une question de temps,
avec les poumons comprimés, les reins broyés et le sang se concentrant dans la
tête. À la fin, on le remet debout, et il semble propre comme un sou neuf. Pas
la moindre de ces cochonneries de marques.
    — Quoi de nouveau ?
    — Il admet ses relations avec les Français, dit
Cadalso. Des voyages à El Puerto de Santa María, à Rota et Sanlúcar. Il est
allé une fois jusqu’à Jerez où il a rencontré un officier supérieur.
    — Pourquoi ?
    — Pour l’informer de la situation ici. Et aussi
remettre des paquets et des messages.
    — De qui ? Pour qui ?
    Une pause. Les sbires et l’adjoint de Tizón échangent des
regards inquiets.
    — Nous ne l’avons pas encore établi, monsieur le
commissaire, explique prudemment Cadalso. Mais nous nous y employons.
    Tizón étudie le prisonnier. Ses traits négroïdes sont
crispés par la douleur, et les paupières à demi fermées laissent seulement voir
le blanc des yeux. Le Mulâtre a été attrapé hier dans la nuit à Puerto Piojo,
au moment où il s’apprêtait à faire voile vers l’autre bord. Et, à voir tout ce
qu’il emportait, sans intention de retour.
    — Il a des complices à Cadix ?
    — Sûrement, affirme Cadalso avec conviction. Mais on ne
lui a pas encore tiré de noms.
    — Bon. Un dur, à ce que je vois.
    Tizón se rapproche du prisonnier et s’accroupit pour se
mettre à la hauteur de sa tête. Il observe de près les cheveux crépus, le nez
épaté, la barbe rare sur le menton. La peau est sale et grasse. Le Mulâtre a la
bouche grande ouverte, comme un poisson qui suffoque hors de l’eau, et la
respiration qui en sort est rauque, entrecoupée, laborieuse : le râle de
l’asphyxie causée par la position du corps. D’une tache humide par terre monte
jusqu’à Tizón une odeur âcre de vomissure récente. Il en déduit que Cadalso a
eu la délicatesse de l’éponger avant d’aller chercher son chef.
    — Et ces détails qui pourraient m’intéresser, qu’est-ce
que c’est ?
    Cadalso le rejoint après un nouveau regard aux deux sbires.
Celui qui est sur la table tient toujours les jambes du prisonnier.
    — Il y a une ou deux choses qu’il a dites… enfin, qu’on
lui a fait dire. À propos de pigeons.
    — Des pigeons ?
    — C’est ce que j’ai entendu.
    — Des pigeons qui volent ?
    — Je n’en connais pas d’autres, monsieur le
commissaire.
    — Et alors ?
    — Des pigeons et des bombes. Je crois qu’il parlait de
pigeons voyageurs.
    Tizón se relève lentement. Une sensation étrange trouble son
esprit. Une idée imprécise. Fugace.
    — Et ?
    — Eh bien, à un moment, il a dit : « Demandez
ça à celui qui sait où tombent les bombes. »
    — Et c’est qui ?
    — Nous en sommes là.
    L’idée lui apparaît maintenant comme un couloir long et
obscur derrière une porte à demi ouverte. Tizón recule de deux pas pour
s’écarter de la table. Il le fait avec d’extrêmes précautions, car il a
l’impression que tout mouvement brusque, inadéquat, pourrait éteindre cette
lueur qu’il entrevoit.
    — Mettez-le sur une chaise, ordonne-t-il.
    Avec l’aide de Cadalso, les sbires soulèvent sans ménagement
le prisonnier en lui arrachant un cri de douleur. Tizón observe qu’il ouvre et
ferme beaucoup les yeux, hébété, comme s’il se réveillait d’un cauchemar,
tandis qu’ils le portent, les pieds traînant par terre. Quand ils l’assoient,
les mains menottées dans le dos et un homme de chaque côté, Tizón approche
l’autre chaise, la fait pivoter et s’y installe, les bras croisés posés sur le
dossier.
    — Je vais te dire les choses franchement, Mulâtre. En
ce qui concerne ceux qui travaillent pour l’ennemi, c’est le garrot… Et ton cas
est clair.
    Il se tait un moment afin de laisser au prisonnier le temps
de s’habituer à sa nouvelle position et au sang de refluer dans son corps. Et
aussi pour qu’il assimile ce qu’il vient d’entendre.
    — Tu peux collaborer, dit-il ensuite, et peut-être que
tu sauveras ta peau.
    L’autre est pris d’une violente quinte de toux. Il s’étouffe
encore. Ses gouttes de salive arrivent jusqu’aux genoux de Tizón, qui ne
bronche pas.
    — Peut-être ?
    Le timbre de la voix est grave, propre à sa race. Et la
couleur

Weitere Kostenlose Bücher