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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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chose d’inintelligible en
s’écartant, pendant que le taxidermiste s’éloigne, satisfait. Arrive que
pourra, il ne s’enfuira pas de la ville. Socrate, obéissant aux lois injustes
de sa patrie, n’a pas non plus voulu s’échapper de la prison dont la porte
était ouverte. Il a accepté les règles, certain, comme l’est Gregorio Fumagal,
que la nature de l’être humain ne peut agir que comme elle agit, tant envers
soi-même qu’envers les autres. Ainsi l’exige le dogme de la fatalité :
tout est nécessaire.
     
    *
     
    La serrure cède à la quatrième tentative, sans fracture et
sans bruit. Rogelio Tizón pousse la porte avec précaution, tout en remettant
dans sa poche le jeu de clefs dont il s’est servi pour l’opération qui ne lui a
pas pris plus de deux à trois minutes. Sa longue expérience des malandrins en
tout genre que, dans leur milieu, on appelle des chevaliers d’industrie, a
permis au commissaire d’acquérir avec les ans de curieuses compétences. L’usage
de la fausse clef – le rossignol, dans le langage des voleurs – en
fait partie et s’avère extrêmement pratique. Depuis qu’ont été inventés cadenas
et serrures, il n’est guère de secrets auxquels on ne puisse accéder grâce à un
maniement habile des pinces-monseigneurs, fausses clefs, scies à métaux, limes
et pointes de diamant.
    Le policier se déplace lentement dans le couloir, jetant un
coup d’œil à chaque pièce : chambre à coucher, cabinet de toilette, salle
à manger, cuisine avec fourneau à bois et charbon, évier, garde-manger avec une
souricière garnie d’un petit morceau de fromage juste contre la porte. Tout est
propre et ordonné, bien qu’il s’agisse – à ce point de son enquête, Tizón
sait tout ce que l’on peut apprendre de l’intéressé sans avoir besoin de
s’adresser à lui – de la maison d’un homme qui vit seul. Le cabinet de
travail se trouve au fond du couloir ; et quand le policier y arrive, la
lumière qui entre par la porte vitrée de la terrasse crée une atmosphère dorée
où luisent doucement les yeux de verre, les becs et les serres vernis des
animaux immobiles sur leurs perches et dans leurs vitrines, les bocaux
transparents dont le liquide conserve oiseaux et reptiles.
    Rogelio Tizón ouvre la porte vitrée et monte sur la
terrasse. Du regard, il embrasse le panorama, les tours de vigie de la ville
entre les cheminées et le linge qui sèche. Puis il va voir dans le pigeonnier,
où il trouve cinq pigeons, avant de redescendre dans le cabinet. Là, il y a une
pendule en bronze sur une commode, et des rayonnages portant une vingtaine de
livres, presque tous d’histoire naturelle, avec des illustrations. Parmi eux,
il découvre un vieil exemplaire abîmé de l’ Historia naturalis de avibus d’un dénommé Johannes Jonstonus, plusieurs volumes de l’ Encyclopédie et
d’autres livres français interdits, camouflés sous des couvertures à
l’apparence innocente : Émile, La Nouvelle Héloïse, Candide, De
l’esprit, Lettres philosophiques et Système de la Nature. Une odeur
étrange flotte, d’alcool mêlé à des substances inconnues. Le milieu de la pièce
est occupé par une grande table en marbre qui porte quelque chose recouvert
d’un drap blanc. En soulevant ce dernier, le policier trouve le cadavre d’un
gros chat noir éventré et à demi empaillé, les cavités des yeux bouchées avec
des boules de coton, l’intérieur ouvert rempli de bourre d’où émergent des fils
de fer et des bouts de ficelle. S’il est une notion à laquelle Rogelio Tizón est
étranger, c’est bien celle de superstition ; mais il ne peut éviter de
ressentir une certaine appréhension à la vue de l’animal et de la couleur de
son poil. Mal à l’aise, il fait du mieux qu’il peut pour remettre le drap tel
qu’il était. Associée au cadavre du chat, l’odeur de la pièce close produit
maintenant une sensation nauséabonde. Tizón allumerait volontiers un cigare, si
le relent de fumée de tabac ne risquait de dénoncer le passage d’un intrus dans
la maison. Le fils de pute, conclut-il en regardant autour de lui. Le salaud de
fils de salope de pute.
    Il y a un pupitre avec des notes près de la table en
marbre : des précisions sur les spécimens empaillés et les diverses phases
de chaque opération. Le commissaire s’approche d’une autre table située entre
la porte de la terrasse et une vitrine que partagent, immobiles, un lynx,

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