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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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qu’ils
disent.
    L’autre le regarde, inquiet.
    — Mais tu y es vraiment allé ?
    — Bien sûr que j’y suis allé. Et Curro aussi, plusieurs
fois. À chaque fois ils nous expédient en quelques mots. C’est beaucoup
d’argent, qu’ils disent. Et les temps sont durs.
    — Et ton capitaine Virués ? Il ne peut pas en
parler à quelqu’un ?
    — Il dit que, dans ce genre d’histoires, il n’y a rien
à faire. Ce n’est pas de sa compétence.
    — Pourtant, ils ont été bien contents de nous voir,
quand nous sommes arrivés avec la chaloupe. Même que le commandant de
l’arsenal, il nous a serré la main. Tu te souviens ?… Et c’est lui qui m’a
bandé la tête avec son mouchoir.
    — Tu sais ce que c’est : sur le coup, c’est
différent.
    Cárdenas porte une main à son front, comme s’il voulait
toucher la blessure ouverte dans son crâne, et l’arrête à un pouce du bord.
    — Je suis ici pour cinq mille réaux, beau-frère.
    Le saunier garde le silence. Il ne sait pas quoi dire. Il
tire une dernière bouffée de son mégot, le laisse tomber par terre et écrase la
braise avec le talon de son espadrille. Puis il se lève. Les yeux rougis de
Cárdenas le regardent avec désolation. Indignés.
    — On a fait du bon travail, dit-il. Curro, le gosse,
toi et moi. Et les Français qu’on a liquidés, tu te rappelles ? Endormis
dans le noir, ou presque… Tu leur as bien expliqué ?
    — Tu penses bien que oui… Et tu verras, ça va
s’arranger. Rassure-toi.
    — Cet argent, on l’a gagné et bien gagné, insiste
Cárdenas. Et plus encore.
    — Il faut être patient. – Le saunier lui pose une
main sur l’épaule. – C’est l’affaire de quelques jours. Quand les fonds
arriveront d’Amérique.
    L’autre hoche la tête avec découragement et se laisse
retomber de côté sur la paillasse, en se recroquevillant comme s’il avait
froid. Les yeux fiévreux se perdent dans le vide.
    — Ils ont promis, beau-frère… Une chaloupe avec son
canon, vingt mille réaux… C’est pour ça qu’on l’a fait, non ?
    Mojarra prend sa cape, le mouchoir et le chapeau, marche au
milieu des paillasses et s’éloigne de ce lieu. Fuyant tout ce que cachent les
plis des drapeaux.
     
    *
     
    Vingt milles à l’ouest du cap Espartel. Le dernier coup de canon
fait tomber le hunier du grand mât de la proie, qui s’effondre sur le pont dans
un grand désordre de vergue, de cordages et de toile. Presque au même moment, à
bord, son équipage met en panne et amène le pavillon français.
    — La chaloupe à la mer, ordonne Pepe Lobo.
    Appuyé à la lisse de tribord, à l’arrière de la Culebra, le
corsaire observe le navire capturé qui se balance dans la houle avec toute sa
toile masquée, arrêté dans le vent frais de levant. C’est un chamberquin de
moyen tonnage, trois canons de 4 livres sur chaque bord et voiles carrées,
et il vient de se rendre après un très bref combat – deux bordées de part
et d’autre, avec peu de dommages visibles – et cinq heures de chasse
commencée à l’aube, quand une vigie du cotre espagnol l’a aperçu en train de
gagner la haute mer. Il s’agit sûrement d’un des bateaux ennemis, mi-marchands
mi-corsaires, qui fréquentent les ports espagnols pour acheminer du
ravitaillement vers la côte contrôlée par les Français. D’après la route qu’il
suivait avant d’être poursuivi, le chamberquin a dû appareiller de Larache avec
l’intention de naviguer très au large dans l’Atlantique en décrivant une longue
courbe à l’ouest afin d’éviter les patrouilles anglaises et espagnoles du
Détroit, avant de mettre le cap au nord pour arriver à Rota ou Barbate à la
faveur de l’obscurité. Maintenant, une fois amariné par les hommes de la Culebra et le hunier réparé, sa destination sera Cadix.
    La cloche de bord pique les quarts en sonnant deux coups
doubles. Ricardo Maraña, qui a échangé quelques paroles avec l’équipage du
chamberquin en se servant du porte-voix, arrive de la proue en passant près des
quatre canons de 6 livres de tribord toujours pointés sur l’autre navire
pour éviter toute surprise de dernière minute.
    — Équipage français et espagnol, patron français,
annonce-t-il, satisfait. Ils viennent de Larache, comme nous le supposions,
chargés à ras bord de viandes salées, amandes, orge et huile… Une bonne prise.
    Pepe Lobo approuve, pendant que son second, avec son
indifférence habituelle,

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