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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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le vent que ne le peut le brigantin
avec ses voiles carrées, et le battre ainsi de vitesse. Au moins de deux nœuds.
    — Le levant se maintiendra, soupire Ricardo Maraña en
observant le ciel. Jusqu’à demain, en tout cas… C’est le côté positif.
    — Il faut bien quand même qu’il y en ait un, dans toute
cette merde.
    Après avoir ainsi assouvi sa rage, dents serrées –
Maraña a légèrement souri, sans plus de commentaires –, Pepe Lobo tire sa
montre de la poche de son gilet. Il sait que son second pense la même chose que
lui. Il reste moins de cinq heures de jour. L’idée est de fuir dans
l’Atlantique jusqu’à la tombée de la nuit en piquant vers le large, cap au
sud-ouest, pour tirer plus tard un bord au nord-ouest en serrant le vent et
dépister le brigantin dans l’obscurité. En théorie. De toute manière, tout
l’art, dans cette affaire, consiste à se maintenir le plus éloigné possible
jusqu’à ce moment-là.
    — Un mille par heure, dit Lobo. C’est le maximum que
nous pouvons permettre au brigantin de nous gagner… Donc il vaut mieux déborder
aussi le clinfoc et le hunier.
    Son second regarde en haut, au-dessus de la grand-voile.
L’immense toile gonflée par le vent portant est brassée sous le vent, maintenue
par la corne et la bôme, impulsant le cotre avec l’aide de la trinquette et du
foc déployés sur le long beaupré, à la proue.
    — Je n’ai pas confiance dans le mât de
perroquet. – Maraña parle bas pour ne pas être entendu des
timoniers. – Un boulet du français a frôlé le chouquet… Avec trop de toile
là-haut, si le vent fraîchit encore, il cassera.
    Pepe Lobo sait que son second a raison. Selon le cap suivi,
par vents forts et avec beaucoup de voiles dehors, l’unique mât du cotre peut
se casser si on l’oblige à porter trop de toile. C’est le point faible de cette
classe de navires rapides et manœuvrants : ils payent leur rapidité par
leur fragilité. Délicats, parfois, comme une demoiselle.
    — Donc on n’enverra pas le perroquet, répond-il. Mais
pour le reste, on n’a pas le choix… Exécution, lieutenant !
    Le second acquiesce, fataliste. Il se débarrasse du sabre et
des pistolets, appelle le maître d’équipage – Brasero supervise l’amarrage
des canons et la fermeture des sabords – et va au pied du mât pour
surveiller la manœuvre. Pendant ce temps, Pepe Lobo corrige le cap de
l’Écossais de deux quarts et dirige la longue-vue vers le sillage du cotre.
Dans l’oculaire, il constate que le chamberquin a redéployé sa toile pour
naviguer à la rencontre de son sauveur, et que le brigantin continue de se
rapprocher rapidement. Quand Lobo baisse la longue-vue et regarde vers l’avant,
le mât du cotre s’est couvert de nouvelles voiles, qui faseyent avant de
s’immobiliser, gonflées par le vent et retenues par les écoutes que les hommes
bordent sur le pont : le clinfoc en haut, tirant sur ses œillets au-dessus
du grand foc et de la trinquette, et le hunier brassé sur sa vergue, au-dessus
de la hune. La Culebra prenant plus de vent, son accélération se traduit
par une secousse ; elle donne de grands coups de boutoir dans la houle et
gîte davantage, la lisse sous le vent si près de l’eau que les embruns
atteignent les canons et courent sur le pont jusqu’aux dalots, inondant tout.
Adossé dans l’angle que forment le couronnement de poupe et la lisse du côté du
vent, jambes écartées pour compenser la gîte prononcée, le corsaire se désole
encore une fois intérieurement de la perte de la prise qu’il laisse derrière
lui. En plus du butin lui revenant ainsi qu’à ses hommes, don Emilio Sánchez
Guinea et son fils Miguel auraient été satisfaits, conclut-il. Et aussi Lolita
Palma.
    Pendant un instant, Pepe Lobo pense à cette femme –
« Quand vous serez de retour au port », a-t-elle dit la dernière
fois –, tandis que le cotre navigue droit devant, sûr, chevauchant l’Atlantique
et fendant la houle en tanguant régulièrement. Une rafale d’eau glacée saute
des haubans jusqu’à la poupe, passant sur le capitaine et les timoniers qui se
courbent pour l’esquiver du mieux qu’ils peuvent. Secouant sa veste, trempé et
les cheveux en désordre, le corsaire s’essuie la figure avec une manche pour se
débarrasser du sel qui lui brûle les yeux. Puis il se tourne de nouveau vers le
sillage, pour regarder dans la direction des voiles encore lointaines du
brigantin.

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