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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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servile,
l’autre libéral, histoire de voir comment respiraient aujourd’hui guelfes et
gibelins – devant une tasse au café de la Poste et s’être fait raser chez
un barbier de la rue des Comédies sans payer un sou comme d’habitude, le
commissaire a effectué une fructueuse tournée sur ses terrains d’élection. En
visitant, avec son plus beau sourire de squale matinal, quelques lieux dont une
conscience un peu troublée et la nécessité de se concilier l’autorité
compétente ont allégé le tiroir-caisse sans guère de résistance. Le joli
chiffre de trente pesos ajouté à sa solde n’est pas un mauvais butin pour une
seule matinée : cent réaux d’un quincaillier de la rue de la Pelote pour
loger et employer – dans tous les sens du terme, assurent malicieusement
les voisins – une servante veuve et émigrée sans papiers en règle, et cinq
cents autres d’un bijoutier de la rue de la Neuvaine, recéleur attitré d’objets
volés, à qui Tizón a donné le choix, sans y aller par quatre chemins, entre
cette somme déposée directement dans sa poche et la désagréable perspective
d’une amende de neuf mille réaux ou de six ans au pénitencier de Ceuta.
    Mais ensuite, tout s’est assombri. Vingt minutes dans le
bureau du gouverneur militaire et politique de Cadix ont suffi pour mettre fin
au bel optimisme de Rogelio Tizón. Il s’est rendu chez le gouverneur au milieu
de la matinée avec García Pico pour l’informer d’une affaire dont, pour des
raisons de prudence élémentaire, ni l’intendant ni le commissaire ne souhaitent
laisser de trace écrite. Le climat n’est pas propice à ce genre de risques ni
aux faux pas.
    — Nous ne pouvons encore rien donner pour certain,
expliquait Tizón, mal à l’aise, assis devant l’imposante table de travail du
gouverneur. L’espionnage ne fait aucun doute, naturellement… Mais j’ai besoin
d’un peu de temps pour le reste.
    Le lieutenant général don Juan María de Villavicencio
gardait ses mains jointes dans une attitude qui évoquait la prière. Il
écoutait. Ses lunettes en or pendaient de la boutonnière de sa veste, et son
auguste tête chenue était inclinée sur sa cravate noire. À la fin, il a
desserré les lèvres.
    — Si c’est un espion avéré, a-t-il dit sèchement, vous
devriez le remettre à l’autorité militaire.
    Avec respect et prudence, Tizón a répondu qu’il ne
s’agissait pas seulement de cela. Des espions, ou des individus suspects de
l’être, il y en avait beaucoup dans Cadix. Un de plus ou de moins ne changeait
pas grand-chose. Mais on avait de sérieux indices qui reliaient le prisonnier à
la mort des filles. Ce qui donnait à l’affaire une tout autre ampleur.
    — Est-ce sûr ?
    L’hésitation du commissaire a été à peine perceptible.
    — Très probable, en tout cas, a-t-il répondu, impavide.
    — Et qu’attendez-vous pour obtenir des aveux
complets ?
    — Nous nous y employons – le policier s’est permis
un sourire de loup, masquant mal sa suffisance –, mais les nouvelles modes
politiques nous imposent certaines limitations…
    Quand il s’est tourné vers García Pico en attendant un appui
de sa part, le sourire tizonesque s’est effacé. Sérieux, délibérément en
retrait, l’intendant gardait bouche close, sans se compromettre. Pas ici, en
tout cas. Pas devant le gouverneur. Et si son expression laissait transparaître
un sentiment, c’était qu’il doutait fortement que Rogelio Tizón puisse se
sentir limité par quelque mode, politique ou autre, que ce soit.
    — Quelles sont les possibilités que le détenu soit
l’assassin ? a demandé Villavicencio.
    — Raisonnables, a répondu Tizón. Mais il reste des
points obscurs.
    Regard méfiant du gouverneur. Un regard de vieux chien. De
chien de mer, s’est dit Tizón, tout content de son mauvais jeu de mots.
    — Il a admis quelque chose ?
    De nouveau, le sourire de loup. Ambigu, cette fois. Le
sourire du loup qui veut faire l’agneau.
    — Quelque chose, oui… Mais pas beaucoup.
    — Suffisamment pour le remettre à un juge ?
    Une pause prudente. Sentant peser sur lui le regard inquiet
de García Pico, Tizón a fait de nouveau un geste vague et dit que non, pas
encore, mon général. Dans deux ou trois jours, peut-être. Ou un peu plus. Puis
il s’est carré sur sa chaise où, jusque-là, il s’était tenu juste sur le bord.
Il commençait à avoir chaud et s’est félicité d’avoir ôté sa

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