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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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geste
d’apaisement. Passé le moment crucial de l’échange de tirs souvent simultané,
aucun homme honorable ne fait feu de près et de sang-froid.
    — Pour l’amour de Dieu, monsieur ! s’exclame un
des témoins.
    Il lui demande probablement d’en rester là, pense Lobo. Un
appel à l’honneur ou une imploration à la clémence. Pour sa part, Virués
n’ouvre pas la bouche. Il a les yeux fixés, comme magnétisés, sur le canon du
pistolet qui approche. À aucun moment, il ne cesse de le regarder ; pas
même quand, arrivé devant lui, Pepe Lobo abaisse l’arme vers sa cuisse droite
et, à bout portant, appuie sur la détente pour, d’une balle, lui briser le
fémur.
     
    *
     
    Il fait presque nuit noire, avec un léger clair de lune à
son déclin qui éclaire les terrasses blanches et les tours de vigie des grandes
demeures. Une lanterne municipale brille au loin, du côté de la rue des Carmes
Déchaux ; mais sa lumière n’arrive pas jusqu’à l’étroit porche sous lequel
se tient Rogelio Tizón. Il est difficile de distinguer, dans les ténèbres, la niche
où l’archange écrase le diable, épée en main, dominant le coin de la rue San
Miguel et de la côte de la Murga.
    Une forme à peine visible, mais aux contours clairs, se
déplace lentement en se découpant par instants sur la lumière lointaine de la
lanterne. Tizón la regarde s’approcher, passer sous la niche de l’archange et
s’éloigner vers le bout de la rue. Après avoir observé le carrefour dans toutes
les directions et sans voir personne d’autre, le commissaire revient se poster
contre le mur. Une longue nuit, comme on pouvait s’y attendre. Une parmi
d’autres, c’est à craindre. Mais la principale qualité d’un chasseur est la
patience. Et cette nuit, il chasse. Avec un appât mobile.
    La forme aux contours plus clairs rebrousse chemin pour
revenir vers le carrefour. Le bruit de ses pas lents et traînants résonne dans
le silence total de la rue sans lumière derrière les jalousies des fenêtres. Si
son adjoint Cadalso ne s’est pas endormi, estime le commissaire, il voit en ce
moment l’appât qui doit être arrivé à l’endroit où il est aussi aux aguets,
surveillant cette portion de rue depuis la fenêtre d’une boutique située sur la
petite place de la Boucherie. À l’autre bout du parcours se tient un autre
agent, au coin de la rue du Vestiaire, là où se trouve la lanterne des Déchaux.
À eux trois, ils couvrent ainsi un pâté de maisons et le départ des rues
adjacentes, avec le carrefour de l’archange comme axe principal. Le plan
original prévoyait d’autres hommes dans les alentours, couvrant une plus vaste
surface ; mais la possibilité qu’un déploiement excessif attire trop
l’attention en a dissuadé Tizón au dernier moment.
    L’appât s’arrête devant un porche, et sa silhouette se
découpe sur la clarté qui émane de la lanterne lointaine. De sa cachette, le
commissaire aperçoit nettement la tache claire du manteau blanc qui sert en
même temps de leurre pour l’assassin et de repère visuel pour lui et ses
agents. Naturellement – avec Tizón comme maître d’œuvre, nul ne s’en
étonnera –, la fille ignore le danger qu’elle court et son rôle réel dans
l’aventure. C’est une très jeune prostituée de la Merced ; la même que,
dans le passé, le commissaire a vue nue, allongée à plat ventre sur une couche
immonde pendant qu’il promenait le bout de sa canne sur son dos et découvrait
les abîmes qu’il portait en lui. Son nom est Simona. Elle a maintenant seize
ans, et son aspect, en pleine lumière, est moins innocent et moins frais qu’à
l’époque – d’avoir exercé ce métier tout ce temps à Cadix laisse des
traces –, mais elle conserve, au premier coup d’œil, un air fragile avec
ses cheveux presque blonds et sa peau claire, jeune. Tizón n’a pas eu beaucoup
de mal à la convaincre ; quinze douros à son maquereau – un certain
Carreño, ruffian connu – sous le prétexte d’attirer des hommes mariés du
voisinage pour les faire ensuite chanter à loisir. Ou quelque chose comme ça.
Que le susnommé Carreño ait gobé ou non le mensonge est sans importance :
il a empoché les douros et l’indulgence future du commissaire sans rien
demander, et surtout pas si ça n’aurait pas un rapport avec les histoires de
femmes assassinées qui circulent parfois dans la ville. Ce n’est pas son
affaire, et encore moins quand

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