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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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des fronts
étroits trahissant les imbéciles et les ignares, des sourcils clairsemés et qui
se rejoignent désignant la propension au vice, des dents de cheval montrant une
disposition pour le mal, de vilaines oreilles de bouc lubrique, des nez crochus
indiquant l’impudeur et la cruauté – la tête de bœuf ou de vache étant
liée, se souvient Tizón, à la paresse et à la lâcheté. L’expérience s’est
achevée par une matinée ensoleillée : quand, en s’arrêtant devant la
vitrine d’une boutique d’éventails pour allumer un cigare, le commissaire a vu
le reflet de son visage dans la glace et s’est rendu compte que, d’après les
théories physiognomoniques, son nez aquilin dénotait sans discussion possible
générosité et noblesse. Le soir même, il rendait le livre à Barrull, et,
depuis, il a cessé d’y penser.
    — Si vous voulez, monsieur, je peux vous distraire un
peu.
    Simona a parlé dans un murmure. Elle lui tourne toujours le
dos, faisant face à la rue comme si elle était seule.
    — Une petite gâterie, vite fait, ajoute-t-elle.
    Tizón ne doute pas de l’efficacité et de la prestesse de la
fille, mais il ne lui faut pas trois secondes pour écarter l’idée. Ce n’est
vraiment pas le moment, décide-t-il.
    — Une autre fois, peut-être, chuchote-t-il.
    — À votre guise.
    Indifférente, Simona repart vers la rue San Miguel et
s’enfonce dans la pénombre jusqu’à ce qu’on ne distingue plus que la tache
claire de son manteau qui s’éloigne. Rogelio Tizón décolle son dos du mur et
change de position en étirant ses membres engourdis. Puis il regarde le ciel
nocturne au-delà du coin de la rue où se trouve la niche de l’archange. Un
drôle de personnage, ce Français, se dit-il pour la énième fois. Avec ses
canons, ses trajectoires de tir et sa méfiance du début ; et, à la fin, sa
curiosité technique qu’il n’a pu cacher et qui a primé sur tout le reste. Le
policier sourit en se souvenant de la manière dont le capitaine d’artillerie a
demandé les dernières données, les précisions sur les lieux d’impact idéaux et
le moyen de transmettre tout cela d’une rive à l’autre de la baie. Pourvu qu’il
tienne parole cette nuit.
    L’envie revient de fermer les paupières, dans cet état
indécis où se mêlent les images de la nuit et les cauchemars de la mémoire.
Chair déchiquetée, os mis à nu, yeux ouverts, fixes, voilés par une mince
couche de poussière. Et une voix lointaine, à l’accent et au sexe imprécis, qui
murmure d’étranges paroles comme ici, ou à moi. Le policier fait
un bref somme, puis, dans un sursaut, relève brusquement la tête. Il regarde en
direction de la rue San Miguel, en espérant voir réapparaître la tache claire
du manteau. Un moment, il a cru voir une forme noire qui se déplaçait. Une
ombre en train de glisser, collée aux façades d’en face. La somnolence,
conclut-il, crée ses propres fantômes.
    Il ne voit pas le manteau. Peut-être Simona s’est-elle
arrêtée au bout de la rue. Inquiet d’abord, préoccupé ensuite, il scrute les
ténèbres. On n’entend pas non plus les pas de la fille. Contenant son envie de
sortir de son abri, Tizón avance prudemment la tête, en essayant de ne pas être
trop visible. Rien. Juste l’obscurité de ce coin de rue et la lumière lointaine
de la lanterne à l’autre extrémité. Dans tous les cas, elle devrait être en
train de revenir. Trop de temps a passé. Trop de silence. L’image d’un
échiquier revient se dessiner devant ses yeux, dans la nuit. Le sourire féroce
du professeur Barrull. Vous n’avez pas vu le coup, commissaire. Il vous a de
nouveau échappé. Vous avez commis une erreur, et vous perdez encore une pièce.
    Le vent de panique s’abat sur lui alors qu’il est déjà hors
du porche, en train de courir dans le noir sur les pavés vers le carrefour noyé
dans l’ombre. Le manteau apparaît enfin : une tache claire abandonnée par
terre. Tizón le dépasse, arrive au coin et s’arrête pour regarder dans toutes
les directions en tentant de percer les ténèbres. Seule cette vague clarté qui
tombe de la lune, déjà masquée par les toits, teinte de bleu les fers forgés
des balcons et les rectangles obscurs des portes et des fenêtres, et intensifie
le noir des renfoncements, des angles cachés de la rue silencieuse.
    — Cadalso ! crie-t-il désespéré. Cadalso !
    À sa voix, un des recoins sombres, une anfractuosité qui

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