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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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se
prolonge comme une lézarde sinistre vers l’endroit le plus obscur de la place,
semble s’agiter un instant, comme si une forme y prenait vie. Presque en même
temps, une porte s’ouvre avec fracas derrière le commissaire, un rectangle de
lumière coupe en diagonale la rue comme un coup de couteau, et les pas de
Cadalso qui arrive résonnent violemment. Mais Tizón court déjà de nouveau,
plongeant en aveugle dans un espace où, à mesure qu’il avance, il parvient à
distinguer une forme tapie qui, soudain, se divise en deux ombres : l’une
immobile au sol et l’autre qui s’écarte rapidement, collée aux façades. Sans
s’arrêter à la première, le commissaire tente d’atteindre la seconde ;
laquelle, en traversant la rue pour s’éloigner en direction de l’ancien hospice
des Enfants Trouvés, se découpe subrepticement dans la clarté : une silhouette
noire et rapide qui file sans bruit.
    — Halte ! Police !… Halte !
    Aux fenêtres voisines s’allument des bougies et des
chandelles, mais Tizón et l’ombre qu’il poursuit les ont déjà laissées loin
derrière, coupant rapidement par la petite place de la rue de Recaño vers
l’hôpital des Femmes. L’effort brûle les poumons du policier, gêné en outre par
sa canne – il a perdu son chapeau dans la course – et la longue
redingote qui entrave ses jambes. L’ombre qu’il poursuit se déplace avec une
incroyable rapidité, et il est de plus en plus difficile de garder la distance.
    — Halte ! Halte !… À l’assassin !
    La distance est maintenant trop grande, et l’espoir qu’un
voisin ou un passant de hasard s’unisse à la poursuite est minime. Les gens
marchent trop vite dans les rues, c’est une nuit d’hiver et il est presque deux
heures du matin. Tizón sent que ses forces commencent à le trahir. Si au moins,
pense-t-il avec désespoir, il avait emporté un pistolet !
    — Fils de pute ! crie-t-il, impuissant, en
s’arrêtant enfin.
    Il suffoque. Et ce dernier cri lui donne le coup de grâce.
    Ahanant, émettant le râle rauque d’un soufflet crevé, plié
en deux, la bouche grande ouverte cherchant de l’air pour ses poumons à vif,
Tizón va s’appuyer au mur de l’hôpital et se laisse glisser peu à peu pour
finir assis par terre en contemplant, hébété, le coin où l’ombre a disparu. Il
reste ainsi un bon moment, recouvrant sa respiration. Puis, au prix de durs
efforts, il se relève et marche lentement, clopinant sur ses jambes
douloureuses, pour revenir à la place de la Boucherie, où il trouve des
fenêtres éclairées, des voisins en chemise et bonnet de nuit à leur balcon ou
devant leur porte. La fille est soignée chez l’apothicaire, l’informe Cadalso
qui vient à sa rencontre, une lanterne sourde à la main. Simona est revenue à
elle avec des sels et des compresses de vinaigre. L’assassin n’a pu lui donner
qu’un coup, mais assez fort pour lui faire perdre connaissance.
    — Elle a pu voir son visage ?… Un détail
quelconque ?
    — Elle est trop effrayée pour avoir la tête claire,
mais il semble que non. Tout a été rapide et fait par-derrière. À peine
l’a-t-elle senti arriver que déjà l’homme avait plaqué sa main sur sa bouche…
Elle croit que c’est un individu pas très grand, mais agile et fort. Elle n’a
rien vu d’autre.
    Il a recommencé, se dit Tizón, découragé. Assommé par la
frustration et la fatigue.
    — Où voulait-il l’emmener ?
    — Elle ne sait pas. Comme je vous l’ai dit, elle s’est
évanouie en recevant le coup… Pour l’endroit, je crois qu’il la traînait vers
la galerie qui se trouve derrière l’entrepôt de cordes et de sparteries quand
nous lui sommes tombés dessus.
    Ce pluriel indigne le commissaire.
    — Nous ?… Où étais-tu donc, animal !… Ils ont
dû te passer juste sous le nez.
    Cadalso ne souffle mot. Contrit. Tizón, qui ne le connaît
que trop, interprète correctement les faits. Mais même dans ces conditions, il
n’arrive pas à y croire.
    — Ne me dis pas que tu t’étais endormi !…
    Le silence de son adjoint se prolonge suffisamment pour
trahir sa culpabilité. Encore une fois, il ressemble à un gros molosse, gauche
et muet, qui attend, les oreilles basses et la queue entre les jambes, la
raclée de son maître.
    — Écoute-moi bien, Cadalso…
    — Dites.
    Il le regarde fixement en réprimant l’envie de lui casser sa
canne sur le crâne.
    — Tu es un

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