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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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meilleur brigantin de la maison Palma – deux cent quatre-vingts
tonneaux, la coque doublée de cuivre, quatre canons de 6 livres –,
fait route vers Cadix avec un chargement d’une importance exceptionnelle.
Emilio Sánchez Guinea sait qu’il transporte une précieuse cargaison de grains,
sucre, indigo et mille deux cents lingots de cuivre de Veracruz ;
d’ailleurs, une petite partie appartient à sa propre maison commerciale. Ce
qu’il ignore – l’affection est une chose, mais les affaires en sont une
autre –, c’est que, camouflés sous les lingots, le brigantin transporte
vingt mille pesos d’argent, propriété de Lolita, destinés à se procurer des
liquidités et à maintenir le crédit local. Sa perte serait un coup difficile à
surmonter ; avec cette circonstance aggravante que, cette fois, vu le
caractère délicat de l’opération, tous les risques maritimes sont à la charge
de Lolita Palma.
    — Tu joues gros jeu sur ce navire, ma fille, dit enfin
Sánchez Guinea.
    Elle reste absente, le regard concentré dans le vide. Elle
semble ne pas avoir entendu les dernières paroles de l’ami de son père. Puis
elle frémit imperceptiblement et esquisse un sourire préoccupé. Triste.
    — Vous êtes en dessous de la vérité, don Emilio… Telles
que se présentent les choses, je joue tout.
    Maintenant, détournant la tête, elle contemple encore une
fois la mer d’où arrivent à Cadix fortunes et désastres. Au loin, proches l’une
de l’autre, on aperçoit les voiles de deux navires qui tirent de longs bords
dans le vent de nord-est pour pénétrer dans la baie, en essayant de rester hors
de portée des batteries françaises pendant qu’ils passent les Puercas et le
Diamante.
    Pourvu que ce brigantin arrive vite, pense-t-elle. Pourvu
qu’il arrive.
     
    *
     
    À bâbord amure de la Culebra, l’œil collé à la
lorgnette, Pepe Lobo observe les voiles du navire qui s’approche rapidement
depuis la pointe de Rota : deux mâts légèrement inclinés vers la poupe,
beaupré avec bout-dehors de foc, voiles triangulaires, latines, tendues par le
vent de travers.
    — C’est un mistic, dit-il. Un canon sur chaque bord et
un canon de chasse. Et il ne porte pas de pavillon.
    — Un corsaire ? demande Ricardo Maraña qui se
tient près de lui et regarde dans la même direction, une main en visière.
    — Sûrement.
    — En l’apercevant, j’ai d’abord cru que c’était la
felouque de Rota.
    — Moi aussi. Mais le golfe est vide… La felouque est
sûrement allée brouter sur d’autres pâturages.
    Lobo passe la longue-vue à son second, et celui-ci observe
longuement le navire, dont le soleil de l’après-midi éclaire les voiles.
    — Nous ne l’avions encore jamais vu dans ces eaux…
C’est peut-être celui de Sanlúcar ?
    — Peut-être.
    — Et que fait-il si loin à l’est ?
    — Si la felouque est à la chasse, il aura pris sa
relève dans les parages. Histoire de voir ce qu’il peut trouver.
    Maraña continue de regarder dans la lorgnette. On peut déjà
se rendre compte de la manière dont manœuvre le mistic.
    — Il tente sa chance. Il tâte l’adversaire.
    Pepe Lobo regarde vers le bord du vent, là ou navigue de
conserve avec la Culebra, et amarinée par un équipage de prise, la
dernière capture opérée par le cotre : une goélette de quatre-vingt-dix
tonneaux, la Cristina Ricotti, arraisonnée sans combat il y a quatre
jours devant la pointe Cires alors que, partie de Tanger, elle se dirigeait
vers Malaga avec une cargaison de laine, de cuirs et de salaisons. Pour
l’entrée dans la baie, prévoyant la présence de corsaires et la menace du fort
français de Santa Catalina qui canonne toujours les bateaux qui tirent des
bords près de la terre, Lobo a pris ses dispositions pour que la goélette se
maintienne à tribord de la Culebra, à deux encablures, afin de mieux la
protéger en s’interposant entre elle et toute menace possible. Pour sa part, le
cotre navigue prêt à toute éventualité, pointant son long beaupré sur le golfe
de Rota, serrant le vent de nord-est toute toile dehors y compris le petit
hunier, sans arborer de pavillon, la moitié des matelots aux bras et aux
écoutes, et le maître d’équipage Brasero appuyé sur le guindeau, deux pas
derrière le capitaine et son second : un œil sur la manœuvre et l’autre
sur les huit canons de 6 livres chargés et prêts à tirer, le reste des
hommes armés et sur le qui-vive

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