Cadix, Ou La Diagonale Du Fou
dit-il. Pas devant
Cadix !
Un chœur de rires et de fanfaronnades lui répond. La prise
qu’ils ramènent et la perspective de descendre bientôt à terre mettent les
hommes de bonne humeur. Et puis ils sont suffisamment aguerris et expérimentés
pour comprendre que le corsaire ennemi n’est pas de taille. Près de la
chaloupe, arrimée sur le pont sous la longue bôme de la grand-voile, les hommes
qui ne sont pas à la manœuvre ou aux canons préparent les armes destinées au
combat à plus courte distance, dans le cas où celui-ci deviendrait
nécessaire : fusils, pistolets, perriers de bronze à fixer aux chandeliers
de la lisse, prêts à être chargés avec de petits sacs de mitraille. Content,
Lobo regarde ses hommes travailler. Après une demi-année passée à écumer
ensemble le Détroit, la racaille portuaire recrutée dans les pires bouges de
Santa María, la Merced et le Boquete se conduit comme un équipage raisonnable,
compétent, chaque fois que la capture d’une prise requiert de manœuvrer avec
efficacité ou, s’il le faut – deux abordages et quatre combats sérieux à
ce jour –, de se battre de près et de subir des pertes. À bord de la Culebra, fidèles au contrat qu’ils ont signé, tous ne font que l’indispensable,
toujours avec la perspective du butin ; mais personne ne rechigne devant
les difficultés et les dangers. Sur le cotre, et Pepe Lobo le sait très bien,
il n’y a pas de héros. Ni de lâches. Seulement des hommes qui font leur
métier : des professionnels résignés à la dure vie d’un navire, gagnant le
difficile salaire de la course.
— Signalez à la goélette !… Pare à virer !
Un pavillon rouge monte et descend rapidement sur tribord,
jusqu’au bout de la vergue basse du hunier. À la poupe, l’Écossais et l’autre
timonier maintiennent fermement la longue barre sur le cap fixé. Le capitaine
est tout près, sur le côté de sous le vent, se retenant d’une main au capot du
rouf et regardant par-dessus la lisse la rangée des sabords où se dessinent les
bouches des canons. Le maître d’équipage Brasero est au pied du mât, au milieu
des hommes à la manœuvre, tourné vers la poupe et attendant les ordres. Ricardo
Maraña fait de même, placé près du premier canon de bâbord, la drisse de mise à
feu dans la main droite, et la gauche levée pour indiquer qu’il est prêt. Les
trois autres chefs de pièce du même bord font le même geste.
— Pour la goélette : virez !
Un pavillon bleu monte maintenant au bout de la vergue, et à
l’instant la Cristina Ricotti s’élève au vent, ses voiles faseyant. Lobo
dirige un dernier regard à la flamme, à la mer et au mistic ennemi. Celui-ci
est à moins de trois encablures. Pratiquement à portée des canons, si l’on
tient compte que le bord sur lequel ils vont tirer est celui de sous le vent,
et donc incliné par la gîte.
— Lof à deux quarts, dit-il aux timoniers.
Ceux-ci mettent la barre à bâbord, et le beaupré de la Culebra s’écarte du golfe de Rota, pointant à présent vers le fort ennemi de Santa
Catalina. Bras et écoutes arrêtent immédiatement le léger faseyement de la
toile, qui serre davantage le vent. Le mistic n’est plus désormais sur bâbord
amure, mais sur le travers, juste dans l’aire de tir des canons.
— Hissez le pavillon !
Le pavillon marchand à deux bandes rouges et trois jaunes,
portant au centre le blason qui certifie le statut de corsaire du roi d’Espagne
de la Culebra, monte alors sur sa drisse en se déployant au vent. À
peine le drapeau arrivé au faîte de la grand-voile, Lobo regarde son second.
— À vous, lieutenant ! crie-t-il.
Sans se précipiter, accroupi derrière la mire du canon pour
calculer le pointage et le roulis pendant qu’il dirige à voix basse les artilleurs
qui déplacent leur pièce avec des cales et des anspects, Maraña attend quelques
instants, la drisse de mise à feu à la main, tire enfin sur celle-ci, et le
canon bondit, retenu par ses amarres avec une détonation et un tourbillon de
poudre qui court tout le long du bord. Cinq secondes plus tard, les trois
autres tonnent à leur tour ; et la fumée n’est pas encore dissipée que
Pepe Lobo donne l’ordre du changement de bord.
— Lofez !… Débordez les écoutes !
— À dieu vat ! dit l’Écossais en se signant avant
de mettre la barre sous le vent.
Les voiles du beaupré faseyent, la proue se déplaçant vers
tribord pendant que
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