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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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sais pas, avoue-t-il.
    Un long silence. Le professeur l’observe avec une attention
extrême.
    — Diable, commissaire. Vous semblez regretter qu’il ne
se manifeste pas.
    Maintenant, Tizón soutient le regard de Barrull. Celui-ci
incurve les lèvres comme pour pousser un sifflement admiratif.
    — Mon Dieu ! C’est bien de cela qu’il s’agit,
n’est-ce pas ?… S’il ne tue pas de nouveau, vous n’aurez pas de nouvelles
pistes. Vous craignez que l’assassin de ces pauvres filles n’ait soudain pris
peur de ses actes ou qu’il s’en soit lassé… Qu’il reste dans l’obscurité et ne
fasse plus jamais parler de lui.
    Tizón continue de le contempler, inexpressif, sans rien
dire. Son interlocuteur chasse à petits coups les restes de poussière de tabac
avec un mouchoir froissé qu’il a tiré d’une poche. Puis il lève l’index et le
pointe comme un pistolet en direction du bouton supérieur du gilet du
commissaire.
    — On dirait que vous craignez qu’il ne tue pas de
nouveau… Que le hasard le maintienne éloigné.
    — Il y a quelque chose chez lui de rigoureux, argumente
gravement le policier en regardant le doigt braqué sur lui. D’exact. Je ne
crois pas qu’il s’agisse de hasard.
    Barrull semble réfléchir.
    — Intéressant, conclut-il, en se carrant sur sa chaise.
Et c’est vrai que l’on peut parler de précision. Peut-être s’agit-il d’un
fanatique.
    Tizón contemple l’échiquier vide. Les pièces dans leur
boîte.
    — Ou peut-être joue-t-il ?
    La question semble naïve dans la bouche d’un homme comme
lui. Il en prend soudain conscience et se sent un peu ridicule. Embarrassé. De
son côté, Barrull esquisse un sourire prudent. Il lève légèrement une main,
comme pour éluder toute responsabilité.
    — Peut-être. Je ne saurais le dire. Tous, nous aimons
les jeux. Les défis. Mais tuer de cette manière, ça va quand même plus loin… Il
y a des gens chez qui, comme c’est le cas pour les animaux, l’instinct se
réveille dans certaines occasions : bruit de bombes, sensations… Tout le
monde sait ça. Je dirais que ce cas frise la folie, si l’expérience ne nous
avait enseigné que les limites de celle-ci ne sont pas toujours claires.
    Ils appellent un serveur qui remplit leurs tasses de deux
onces de liquide brun et d’un petit doigt d’écume. Le café est bon, brûlant et
aromatique. Le meilleur de Cadix. Tout en buvant, Rogelio Tizón observe un
groupe qui discute dans la cour. Y figurent un émigré suspect – son père
sert à Madrid le roi usurpateur – et un membre des Cortès dont le commissaire
fait ouvrir secrètement le courrier ; précaution qui, sur instructions
particulières de l’intendant général, s’étend à tous les députés, sans
distinction entre civils et ecclésiastiques. Tizón a plusieurs agents affectés
à cette tâche.
    — L’assassin peut vouloir défier tout le monde,
commente le policier. La ville. La vie. Moi.
    Autre regard attentif de Barrull. Le policier se rend compte
qu’il l’étudie comme s’il découvrait en lui des angles insoupçonnés.
    — Cette façon de vous exprimer comme si vous étiez
personnellement concerné m’inquiète, commissaire. Vous… Enfin…
    Il laisse la phrase en l’air, en agitant sa chevelure
abondante et grise. Maintenant, il joue avec la tabatière. Puis il la pose sur
une case noire de l’échiquier comme s’il s’agissait d’une pièce.
    — Un défi, avez-vous dit, poursuit-il un moment plus
tard. Et de son point de vue, c’en est peut-être un. Mais ce ne sont là que des
conjectures. Nous construisons dans l’air… Nous parlons, c’est tout.
    Rogelio Tizón observe toujours la clientèle du café. Dans la
ville, les espions qui correspondent avec les Français ne manquent pas :
on en a garrotté un hier au château de San Sebastían. C’est pourquoi il a ordre
de renforcer le contrôle des émigrés, y compris quand ils se présentent comme ayant
fui la zone ennemie, et d’arrêter ceux qui arrivent sans papiers en règle. Même
si cela implique davantage de travail et de soucis, Tizón s’en réjouit :
les familles récemment débarquées, les habitants et les aubergistes qui les
accueillent ont vu monter les tarifs officiels et, en conséquence, ceux qu’il
perçoit en sous-main. Le propriétaire d’une auberge de la rue Flamands Ivres,
qui loge des étrangers sans permis en règle, lui a payé ce matin quatre cents
réaux pour éviter

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