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Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977

Titel: Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michèle Cotta
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l’Europe socialiste ? Toutes ces questions dominent le congrès et font division. Car beaucoup des leaders de la gauche sont pro-européens, ne serait-ce que les anciens de la SFIO et Mitterrand lui-même. Mais certains ne veulent pas de l’Europe politique, comme Pierre Joxe ou comme Chevènement. Ce dernier, le 16 à 12 h 45 précises, me montre, dessiné sommairement sur une feuille de papier à en-tête de la cité Malesherbes, l’hexagone français, dans lequel il inscrit de son écriture : « Ça, c’est sérieux ! » Tandis que, tout autour, au-delà des frontières stylisées de la France, il écrit : « Blabla. » Il me laisse d’ailleurs ce compromettant croquis que je garde précieusement.
    Dans la salle, les débats font apparaître un clivage entre des gens comme Hernu, par exemple, qui disent que l’Europe et le socialisme ont leur sort lié, ou comme Defferre, pour qui, contre toute attente, l’Europe doit se tourner vers l’URSS et ne pas rester une deuxième force dans le camp américain, et des gens comme Sarre, Chevènement ou Joxe, qui traînent les pieds sur cette construction qu’ils pressentent justement comme proche des Américains.
    Mitterrand intervient le dimanche matin et impose son choix : « Il est temps de se souvenir de la puissance des faits. » C’est par ces mots qu’il entame son discours, et les faits, c’est l’Europe des Neuf. Pour lui, l’Europe existe : « Nous sommes dans le Marché commun, dit-il, dans l’Alliance atlantique, dans l’économie de marché. Faut-il quitter le Marché commun ? Personne ne le demande plus. Faut-il quitter l’ensemble des organismes monétaires, économiques ? Personne ne l’a proposé. » Au contraire ! « Il faut y aller hardiment, y croire, il faut faire l’Europe pour faire le socialisme... Il y aura une poussée socialiste de l’Europe tout entière à l’instigation du Parti socialiste français. »
    Y croit-il ? Peut-il y croire ? Se convainc-t-il lui-même ?
    Il tient une heure sur ce thème, avec souffle, en plaidant que le socialisme a des racines profondes en Europe, dans toute l’Europe, et qu’il fournira « des solutions réalistes qui s’opposent à la folie libérale et au capitalisme ». Il termine par une profession de foi dans l’Europe socialiste : « Moi, dit-il, je suis à fond pour la construction européenne, parce que je suis à fond pour la construction du socialisme, parce que je crois que le capitalisme est l’adversaire n o  1 ! »
    Et aussi par une description, que je trouve inutilement dramatique, de la période qui s’ouvre en France et de la lutte pour le pouvoir : « Nous allons traverser une période où il faudra que les esprits soient lucides et fermes. Le pouvoir déraciné par les bourrasques est fragile. Lorsque le choix s’imposera, sachez que 1974 ne sera pas pour nous une année de facilité. Un animal blessé est toujours dangereux. L’animal est blessé, il sera dangereux ! »
    Que veut-il dire par là ? Que Pompidou est affaibli et qu’il se débattra avant d’être vaincu. Et pourquoi 1974 ? C’est en 1976, non, que la France sera en campagne ?
    Je l’ai trouvé, dans ce discours, particulièrement pas drôle, dramatisant par trop les enjeux. Et puis, pas vraiment convaincant. Tous les congressistes s’en sont pourtant contentés : Mitterrand a surtout parlé, il me semble, pour surmonter les divisions de son camp, rassurer ceux qui dans ses rangs veulent de l’Europe sans éloigner pour autant ceux qui veulent le socialisme.

    15 décembre
    Je bois un verre avec Dayan, au bar, pendant que les orateurs se succèdent à la tribune. Il me raconte la façon dont François Mitterrand a présenté sa démission, sur le thème de l’Europe, pendant la réunion d’un des récents bureaux politiques de novembre. Pierre Joxe avait demandé la parole et emmerdé – il n’y a pas d’autre mot – François Mitterrand en lui posant plusieurs questions embarrassantes sur le fait de savoir si des ambassadeurs socialistes seraient envoyés ou pas dans les pays européens non socialistes ! Mitterrand s’énervait. Il s’est penché vers Dayan et lui a dit : « Je vais me tirer, j’en ai marre ! »
    Dayan s’est efforcé de le calmer. Mais il avait un dîner et s’en est allé vers 8 heures et demie.
    Le lendemain, vers 9 heures du matin, Mitterrand l’appelle au téléphone.
    « Tu n’étais pas là, hier. Toujours les

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