Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977

Faute de quoi l’UDR perdra gravement. »
    « Je suis Premier ministre encore pour quelques années, insiste-t-il : le temps de préparer les élections. » Sous-entendu : si ce qu’il reste de barons gaullistes croient qu’ils peuvent se débarrasser de moi, ils se mettent le doigt dans l’œil jusqu’au coude !
    Michel Poniatowski tient un langage complètement différent. Il parle du mouvement initié par Edgar Faure, dont Paul Granet est le secrétaire général : le « Contrat social », en félicitant Paul de maintenir une structure d’accueil qui, selon ses termes, « peut toujours servir ». (À quoi, sinon à accueillir de nouvelles recrues de la majorité, socialistes dissidents ou radicaux de gauche ?)
    Tout ce qu’il semble désirer, en fait, c’est que la situation politique soit encore plus compliquée qu’elle ne l’est actuellement, avec encore plus de groupes, de sous-groupes et d’intergroupes, évidemment dans le but de noyer l’UDR dans une sorte de magma majoritaire.
    Il pense lui aussi à l’unité de candidature au sein de la majorité. Mais il a, lui, ce que n’a pas Chirac : un atout dans sa manche – Jean Lecanuet. Que l’UDR rêve un peu trop – ou rue un peu trop dans les brancards – et il peut sortir la carte Lecanuet et envoyer les candidats UDR se présenter tout seuls. Il peut au contraire favoriser l’UDR et envoyer Lecanuet au diable.
    Pour le reste, Ponia est égal à lui-même. Michel Aurillac, son directeur de cabinet, entre à un moment dans le bureau et lui dit : « Monsieur le ministre, les agents de l’ordre n’ont pas pu effectuer leur mission à Rochefort, où les partisans des magasins Leclerc et ceux de Gérard Nicoud s’affrontent.
    – Allons, dit Ponia en souriant, il faut faire exécuter les décisions de justice. Un pays qui n’exécute pas les décisions de justice est un pays qui part en couilles, non ? »
    Nouvelle entrée d’Aurillac, un quart d’heure plus tard :
    « Monsieur le ministre, il faudrait arrêter Leclerc. Et c’est difficile, parce qu’il passe sa vie à téléphoner à Ansquer 31  !
    – Ah, dit Ponia. D’abord, dites à Ansquer de ne pas dialoguer au téléphone pendant des heures. Et passez-moi le garde des Sceaux.
    – Il est au cinéma !
    – Diable ! Pourvu qu’il ne soit pas allé voir Emmanuelle 32  !
    – Non, il visionne un film sur les prisons.
    – C’est une chance ! Eh bien, qu’il me rappelle après le cinéma ! Et faites donc exécuter cette décision de justice. »
    3 septembre
    Jacques Toubon, ancien énarque lui aussi, sait tout sur tout. Et ce qu’il ne sait pas, il le certifie avec la même détermination. Son modèle dans la vie, c’est Chirac. Physiquement, il ne lui ressembleen rien : il est grand mais ramassé, pas du tout longiligne. Leur point commun : le dévouement à leur père spirituel. Chirac était le bull-dozer de Pompidou, il se serait jeté au feu pour lui ; Toubon se jetterait du cinquième étage si Chirac le lui demandait. Les deux sont souvent presque fébriles, toujours élaborant des offensives ou des contre-offensives contre leurs adversaires ou ceux qui pourraient l’être demain. Et avec tout ça balançant des phrases à l’emporte-pièce, comme s’ils n’avaient peur de rien. Ils sont à la fois sûrs d’eux, et ils redoutent le pire chez les autres. Avec dix ans de moins, Toubon est le calque de l’autre.
    Le problème aujourd’hui est de faire réélire les ministres du dernier gouvernement Messmer qui ne sont plus au gouvernement : comme il n’y a pas d’élections législatives en perspective, il faut qu’ils se présentent en ayant fait démissionner leurs suppléants, qui, dans l’intervalle, se sont installés au Palais-Bourbon.
    Pour Messmer et Guichard, pas de problème : ils seront élus au premier tour. Jean-Philippe Lecat, sans doute au second. Pour Joseph Fontanet, la situation est plus difficile ; le candidat communiste est très fort ; si le socialiste arrive en tête, il a de fortes chances d’éliminer Fontanet. Yves Guéna, lui, ne peut pas être battu : c’est le candidat communiste qui sera en tête de l’opposition au premier tour.
    9 septembre
    Je n’avais pas revu Jean-Jacques Servan-Schreiber depuis son départ du gouvernement. Il ne me paraît pas – ou plus – affecté par cet épisode. Il me parle de Giscard : « Giscard est un bureaucrate parfait, me dit-il. Le bilan de ses