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Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977

Titel: Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michèle Cotta
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Giscard parle du temps, c’est pour dire qu’il faut le mettre de son côté. On ne peut faire voter une loi sur l’avortement en la sortant de son chapeau : il faut un temps de maturation, c’est-à-dire un temps productif. Les grandes évolutions sociales ne peuvent être instantanées. Même chose lorsqu’on s’attaque à des intérêts : il faut se donner le temps de faire bouger les mentalités. »
    Je l’interroge sur cette volonté qu’il a d’aller à la rencontre des gens avec ces déjeuners et ces dîners chez les Français. Selon Cannac, cela correspond à une volonté de s’informer par lui-même. « Il a, me dit-il, une curiosité permanente vis-à-vis des autres, avec un besoin de sortir de son monde, de ne pas s’isoler dans ses fonctions. Et puis,en sens inverse, il veut également marquer sa propre considération aux gens qu’il rencontre. Rappelez-vous le discours qu’il avait prononcé en 1968 sur la “considération” dont, selon lui, les Français manquaient. Il pense la même chose aujourd’hui. Pensez à l’attitude ridicule qui est celle de nos élites vis-à-vis du travail manuel. C’est une attitude de caste, de pays sous-développé ! Il veut évidemment lutter contre ces discriminations, qu’il juge absurdes et dangereuses. »
    Il conclut d’une phrase surprenante en ce qu’elle me paraît correspondre à l’exact contraire de ce qu’il vient de me dire : « Son appartenance à une classe très supérieure lui donne le loisir de considérer de haut les écarts qui séparent les classes intermédiaires. »
    Claude Pierre-Brossolette – je me suis mis en tête de faire le tour des gens qui travaillent avec lui – réfléchit sur le « style Giscard » : « C’est le plus naturel : il n’est pas écrasé par ses fonctions, il lance ses idées de manière personnelle, en s’amusant. Voyez sa position sur les Grecs et les Turcs : il a été très loin dans son appréciation de leurs différends, il a frôlé l’incident diplomatique ; cela fait partie du style de sa présidence : il reste ce qu’il est, ce qu’il a toujours été. Le risque, c’est qu’il agisse de manière trop personnelle ; l’avantage, c’est qu’il est un être humain. »
    Prend-il ses décisions seul, cet homme qui déteste finalement ceux qui tiennent des discours, et les réunions où ils les tiennent ? Moue de Claude Pierre-Brossolette : « Oui, il se fie plutôt à son inspiration. Les méditations à trois ou quatre sont rares. »
    L’élection a-t-elle changé quelque chose en lui ? « La présidence lui a donné les moyens, l’épanouissement personnel, un sens plus marqué des responsabilités. Mais, au fond, il a toujours été convaincu qu’il était plus doué que les autres pour gouverner un peuple difficile. »
    Tous mes interlocuteurs me le confirment : il ne se met jamais en colère. Claude Pierre-Brossolette ajoute un bémol : « Si on le chatouille, me dit-il, il sort ses griffes. C’est son côté grand félin. »
    On le dit paresseux. Mon interlocuteur s’irrite : « Paresseux ? Vous plaisantez ! Il bosse, au contraire ! Beaucoup plus que vous ne le pensez tous. Il nous a tous surpris, de ce point de vue, car nous n’avions pas mesuré à quel point il était prisonnier de la fonction de ministre des Finances, qui était réductrice. »
    Françoise Giroud m’en fait, comme d’habitude, un portrait moins complaisant et beaucoup plus aigu : « Très longtemps, il n’a rien su,rien connu de la vie des gens. L’Algérie, par exemple, il ne comprenait pas ce qui s’y passait à la fin des années 50. Il n’a compris qu’en y allant : il supplée son manque de connaissances sur les choses et les gens par son intelligence. Pour le reste, il déteste l’épreuve de force, ne la cherche jamais. Il ne se laisse jamais prendre de front. »
    Elle poursuit : « C’est un libéral élitiste, mais libéral. Il est heureux chez les gens riches, mais a horreur qu’on lui parle d’argent. Ce qui est une forme suprême du snobisme. »
    Pour ce qui est de son argent personnel, elle le décrit comme assez avare, ne dépensant pas un sou de trop, ramenant d’Authon des provisions après le week-end, y amenant ses victuailles avant.
    Il a beaucoup d’humour, Anne-Aymonne aussi : Françoise Giroud me parle d’un dîner gouvernemental à la résidence Marigny où les ministres se sont amusés comme des fous à énumérer les

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