Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
trop. »
« Bref, conclut Debré, il n’a pas de convictions. C’est d’ailleurs pour cela qu’il a été élu. Très souvent les gens qui réussissent n’ont pas de convictions. Mitterrand n’en a pas davantage. Ils ont des positions, pas des convictions. »
Pour lui, Giscard « est arrivé à l’état de transparence. Chacun, ajoute-t-il, ressent Giscard comme extérieur au pays ».
Ainsi Yves Guéna me confie que « les militants, les députés sont à 90 % derrière Chirac. Giscard n’existe plus. Je suis frappé, en faisant le tour des fédérations UDR, par le fait qu’on ne m’en parle même plus. On ne l’attaque plus : il a disparu ».
Il en profite pour me parler de l’effritement – c’est son terme – des autres partenaires de la majorité. Il me décrit les républicains indépendants comme étant en perte de vitesse, la Génération sociale et libérale (les jeunes giscardiens) allant à vau-l’eau, le centre démocrate « en proie à ses contradictions ».
Il a hésité, mais aujourd’hui il ne doute plus de la réussite de l’opération Chirac, c’est-à-dire de son opération séduction sur le groupe parlementaire : « Le coup de Chirac, me dit-il, est réussi. Il n’y a plus rien de commun entre Giscard et nous. »
Giscard, de son côté, a choisi son jour, jeudi, pour intervenir à la télévision : les députés UDR l’écoutent dans le car qui les ramène de Cajarc, où ils se sont rendus à l’issue de la première journée. Seuls Claude Labbé et Yves Guéna ont été mandatés pour réagir à ses propos. Ils le regardent donc tous deux à l’hôtel du Château, à Rocamadour, dans une petite salle qui a été aménagée à cet effet. Giscard doit parler un quart d’heure ; il s’exprime pendant vingt-cinq minutes.
Guéna et Labbé écoutent et commentent, parfois en s’esclaffant, les propos du chef de l’État. À ne pas croire !
« C’est du Françoise Sagan », dit l’un, tandis que l’autre rigole : « C’est Le Cheval évanoui 38 ! »
Les députés ont été priés d’éviter toute déclaration et toute photo : « Ah ça, dit Claude Labbé à la poignée de journalistes restés à ses côtés, je ne veux pas de photo des députés UDR en train d’écouter. Giscard. Sinon, moi, je vais me faire engueuler par le patron ! »
Le patron, c’est Chirac.
Raymond Barre parle le vendredi 1 er octobre. Il se présente d’entrée de jeu aux parlementaires comme un « néophyte du forum ». Assez habilement, il se réclame du général de Gaulle avant de décliner son objectif : promouvoir le redressement de la France face au grave problème de l’inflation. Pense-t-il que ses efforts en ce sens seront inutiles, croit-il déjà la salle unanimement acquise à Chirac, ou est-ce tout simplement son tempérament ? Il ne se donne à aucun moment du mal pour séduire les parlementaires UDR.
Claude Labbé lui répond en deux phrases qu’il a soigneusement préparées et qui font mouche : « Vous êtes pour nous un Premierministre à part entière, dans l’esprit et la pratique de la V e République. La seule différence – et ce n’est pas une nuance – est que vous n’êtes pas notre chef politique. »
Raymond Barre doit se le tenir pour dit. Les députés UDR ne démoliront pas son plan, Labbé lui en donne l’assurance, tout en lui rappelant que « les Français à qui l’on demande des sacrifices n’ont pas tous l’impression de vivre au-dessus de leurs moyens ».
Une réflexion d’Yves Guéna m’a frappée. Il répond à une de mes questions sur son engagement derrière Chirac, que j’ai senti assez mou à la fin août, mais que je m’étonne de trouver aujourd’hui aussi fort. « Entre l’aventure et la mort lente, me dit-il, que choisiriez-vous ? Vous comme moi nous choisirions l’aventure. »
Ce qui compte maintenant, au-delà du discours du Premier ministre en exercice, c’est ce que l’ancien, Jacques Chirac, va dire dimanche à Égletons.
Je n’y serai pas, car j’ai une émission à faire à Paris. Ce discours, on l’annonce, à l’intérieur même de la salle de Rocamadour dans laquelle les députés sont réunis, comme l’événement politique majeur du week-end.
2 octobre
Cela l’a été. La température du gymnase d’Égletons était au plus bas, mais d’autant plus chaleureusement accueilli fut le discours de Chirac définissant le « travaillisme à la
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