Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
commence sa conférence de presse, devant une assistance fournie, par une peinture sombre de la situation : il parle de « spirale dépressive », il dénonce « le doute et la confusion conduisant à l’inquiétude, inquiétude aggravant la crise, et l’aggravation de la crise justifiant confusion et doute » – tout cela dans les cinq premières minutes.
Est-ce pour donner plus de force à l’optimisme qu’il s’efforce de communiquer par la suite ? Sans doute. Même dans ce cas, ce début sinistre est déroutant.
Des notes que je prends pendant la conférence de presse, assez longue, où il aborde tous les sujets : économiques, sociaux, politiques, je retiens son plaidoyer pour le plan Barre, « ni modifié, ni complété, mais poursuivi » : « Ce n’est pas un sprint, précise-t-il, mais une course de fond. »
Comme pour répondre à cette inquiétude dont il s’est lui-mêmefait l’écho, il souligne la forte croissance française en 1976, la stabilité du nombre des demandeurs d’emploi.
La partie la plus importante de son intervention porte sur la politique : sur la majorité, sur son rôle et celui du Premier ministre dans la politique nationale, sur la façon dont il conçoit le bon fonctionnement des institutions :
Le président de la République : il est élu pour sept ans, il est chargé de veiller au respect de la Constitution, il s’impose ce respect à lui-même. Il restera donc à l’Élysée sept ans, quoi qu’il arrive.
Le rôle du Premier ministre dans la majorité : le président élu au suffrage universel est le seul élu de la nation française. Il nomme un Premier ministre : « J’ai nommé Raymond Barre. »
Le Premier ministre est chef de la majorité parlementaire, c’est lui qui prendra la tête de la campagne nationale à l’occasion des prochaines législatives, mais Giscard est très clair : « Pour le reste, l’expression “chef de la majorité” n’a pas de sens. »
La majorité : sa situation a changé depuis 1974. Avant, elle était celle d’un mouvement unique, l’UNR, puis l’UDR. Aujourd’hui, elle doit au contraire être pluraliste, et ce jusqu’en 1978. Giscard énumère, en les mettant sur le même pied, quatre composantes de cette majorité : l’UDR, devenue RPR, les Républicains indépendants, le centre CDS et les radicaux-socialistes. « Aucune uniformité, dit-il, mais une entente. L’unité qui se déchire doit être remplacée par le pluralisme qui s’organise. »
Conséquences pour les élections qui viennent : « Le pluralisme des candidatures, oui, mais organisé au sein de l’entente majoritaire. »
Tout cela est bel et bon, se dit l’assistance, mais Paris, dans tout cela ?
Réponse de Giscard : « Le milieu politique n’a pas aperçu qu’il y avait eu une réforme municipale à Paris. C’est une réforme fondamentale que je connais bien, souligne-t-il, car il aura fallu attendre 1974 pour qu’elle soit initiée ! »
Il poursuit sa démonstration : l’élection du maire de Paris revêt une importance essentielle ; le maire de Paris gère un budget de 7 milliards de francs. « Il y a donc, insiste Giscard, une chose qui n’est pas possible : de mettre les Parisiens dans la situation de voter aux municipales sans savoir qui sera le maire de Paris. »
Voilà pourquoi le nom de Michel d’Ornano a été jeté en pâture aux électeurs en novembre dernier. Et de quelle abrupte façon !
Au risque d’une division ? lui demande quelqu’un.
Réponse en forme de haut-le-cœur, qui ne résout rien, ne veut pas dire grand-chose, quoique la phrase soit assénée d’en haut et tienne de la méthode Coué si chère aux politiques : « Si la division de la majorité risque de conduire celle-ci à perdre la mairie, je n’imagine pas que cette division puisse être maintenue. »
Je le trouve brillant, certes, et même lumineux dans l’expression. Pourtant, j’éprouve une drôle de sensation, une sorte de malaise : il y a un gouffre, un abîme entre ses paroles, toujours dispensées du haut de son intelligence, et la réalité. Exemple : il a, en fin d’intervention, quelques mots sur la « fermeté ». Il dit lui-même qu’« elle ne se mesure pas aux mots et encore moins au ton des mots, elle se mesure à des actes ». Il ajoute que sa fermeté à lui est « sans emphase sonore, sans déclamation et sans brutalité ». Certes. Pourtant, dans la réalité, la fermeté
Weitere Kostenlose Bücher