Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
ne peut soutenir la pression sur les deux flancs ; et elle préférera se rapprocher de la France plutôt que de l'Allemagne.
5. Composer la liste socialiste aux européennes n'a pas été trop difficile. En effet, il avait au préalable fait accepter par tous l'idée qu'une même personne ne pouvait figurer sur la liste européenne et faire partie des nouvelles instances du Parti. « À partir de là, tout s'est très bien passé. Les choses ont été plus faciles à faire qu'on ne le croit ! »
6. Il me parle enfin longuement de Pierre Mauroy. Plus rien dans sa voix ne me rappelle l'irritation dont il avait fait preuve, il y a près d'un mois, lorsqu'il m'avait croisée au congrès de Metz. Je comprends qu'il souhaiterait que je dise à Mauroy qu'il est prêt à un rapprochement. « Vous savez, me dit-il (comme pour me démontrer que s'il avait voulu le mettre à terre, il aurait pu le faire), si j'avais commencé à me battre plus tôt, j'aurais gagné davantage. »
5 mai
Débat à quatre sur Antenne 2 à propos de l'élection du Parlement européen : Simone Veil en tailleur Chanel rose, Mitterrand, visage de marbre, cravate rouge, Chirac sérieux, de gris sombre vêtu, et Georges Marchais en gris clair, le seul à afficher une mine réjouie.
Je m'aperçois que je suis allée un peu vite, dans ce cahier, sur la composition des listes européennes de la majorité, occupée que j'étais à suivre les meetings de Jacques Chirac, les querelles internes à la majorité, la montée des périls entre Giscard et Chirac, et le congrès du PS, début avril. Je résume donc : la désignation de Simone Veil a été effectuée en avril, je ne sais à l'issue de quelles tractations entre Giscard et Barre. C'est Chirac qui, après beaucoup de conversations avec Michel Debré, a pris la tête de la liste européenne. La division de la majorité est donc nette, avec au surplus un début de polémique entretenue par Chirac sur le soutien apporté par Raymond Barre à Simone Veil.
Chacun dit son credo d'entrée de jeu. Simone Veil parle de l'Europe, chance de la France. Pour Georges Marchais, le bilan de l'Europe depuis vingt ans est « catastrophique ». Jacques Chirac essaie de tout concilier en voulant construire une Europe unie tout en défendant les Français. Mitterrand est pour l'Europe du socialisme et, en attendant ce jour, souhaite qu'elle affirme son indépendance vis-à-vis de l'impérialisme des affaires et du pouvoir politique des grandes puissances.
Sur le bilan de l'Europe, les convergences sont évidentes entre Simone Veil et François Mitterrand d'un côté, Jacques Chirac et Georges Marchais de l'autre. Jamais je n'avais autant eu l'impression d'une coupure, sur la politique européenne, entre le centre et la gauche, d'une part, le communisme et le gaullisme, de l'autre. Je suppose qu'au moment de la CED, ce clivage était encore plus net. Aujourd'hui, face à Simone Veil qui affirme ne pas comprendre le procès en « bradage » qui est fait aux Européens en général et à elle en particulier, et à Mitterrand qui ne veut pas de « la France seule », Chirac essaie de mettre le leader du PS en contradiction avec ses propres troupes, notamment avec celles de Jean-Pierre Chevènement. Marchais parle ainsi de l'entrée de l'Espagne dans l'Europe et de la menace qu'elle ferait peser sur les travailleurs français.
À la fin de l'émission . Ça y est, c'est parti : je ne sais ce qu'il restera de cette campagne européenne, mais, franchement, je crains qu'elle ne marque le point d'orgue de l'extrême confusion qui règne en ce moment dans la vie politique française. Qu'a-t-on donc entendu, tout à l'heure, lors de cette première grande confrontation ? À vrai dire, tout et le contraire de tout ! Jamais autant les ambiguïtés, les rivalités, la confusion, en un mot, ne sont apparues aussi clairement que sous l'œil cruel des caméras.
À la fin, pour Chirac et Mitterrand surtout, les batailles de politique intérieure prennent le dessus : « L'Europe miracle qu'on nous présente est une fumisterie », dit Chirac pendant que François Mitterrand, qui a senti le danger qu'il y aurait à se trouver trop proche de Simone Veil, détourne le tir sur Raymond Barre et demande : « Comment les Français pourraient-ils voter pour la liste de M. Barre et leur laisser le soin de faire en Europe ce qu'ils ont fait en France ? »
6 mai
Devant Rocard qui rigolait, Mauroy m'a raconté
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