Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
décidé de mettre la Haute Autorité à l'épreuve des balles et me demande de désavouer un reportage, qu'il juge déséquilibré, malhonnête, sur une maison d'handicapés dépendant de l'Assistance Publique de Paris. Il voit et dénonce, dans la concomitance entre le reportage de TF1 et un article paru dans Libération , une collusion répréhensible.
Je ne sais s'il est sincèrement indigné – avec lui, on ne sait jamais – ou s'il s'agit d'un test, mais son ton, officiel, sans la moindre trace de complicité, me montre que c'est à la présidente de la Haute Autorité qu'il s'adresse, et qu'il souhaite la mettre au pied du mur.
Cela ne m'émeut pas outre mesure : nous allons visionner le reportage et nous prendrons notre décision. Pas de quoi en faire une maladie. S'il croit me piéger, il se trompe !
26 octobre
Soixante-six ans de Mitterrand. Que je note bien les choses :
Vendredi, à 20 heures, il me téléphone : « Comment allez-vous, etc., etc. » Il finit par me dire : « Je vous délègue l'affaire Lanzenberg. » Il est évident que c'est là un cadeau empoisonné : si je commence à nommer les directeurs de l'information de telle ou telle chaîne, je vais être tirée à vue comme un lapin ! Ce n'est pas dans le décret qui fixe les attributions de la Haute Autorité !
Vendredi à 21 heures, Georges Fillioud m'appelle : « Tout capote. Mitterrand ne veut pas de deux rédacteurs en chef, il n'en veut qu'un seul. »
Samedi 13 heures, pendant que je déjeune avec Pierre Mauroy, Georges Fillioud déjeune, lui, avec Mitterrand, rue de Bièvre, en compagnie de Claude Estier. Il se fait étriller par Mitterrand, qui lui reproche de ne pas être en mesure d'imposer un rédacteur en chef à TF1.
Nous nous persuadons à cette occasion, Fillioud et moi, que le Président fait tout pour nous opposer, puisque, une fois de plus, nous sommes mis en concurrence, en quelque sorte, pour dénouer un imbroglio sur lequel nous n'avons aucun pouvoir ni aucune compétence face au président de chaîne, en l'occurrence Michel May, dont c'est le boulot.
Lundi matin, Jean-Claude Colliard me téléphone : Mitterrand ne veut plus s'occuper de rien. Jean-Claude Colliard est chargé de me dire qu'il se désintéresse de nos affaires.
Pour conclure, mardi, coup de téléphone de Rousselet qui, comme d'habitude, calme le jeu : pas de vagues, mais Jean Lanzi 20 doit rester comme conseiller auprès de Michel May. C'était mon avis depuis le début. Je m'y range donc avec plaisir.
« Tu prends des notes ? » m'interroge hier Jérôme Clément.
Je lui réponds : « Plus que jamais. »
Il me raconte cette scène inouïe : l'autre jour, Conseil interministériel autour de Mitterrand. Delors expose son point de vue. Mitterrand l'écoute, puis se tourne vers Mauroy. Il lui dit simplement : « J'espère que vous n'êtes pas d'accord avec le ministre des Finances. Sinon, j'appelle directement, et tout de suite, Margaret Thatcher à Matignon ! »
Tête de Delors...
29 octobre
Pour notre première saisine, venant de Chirac de surcroît, nous avons été on ne peut plus consciencieux. Nous avons regardé à plusieurs le reportage qu'il dénonçait, et regretté en effet un déséquilibre grave dans la façon dont il était traité par la télévision.
Crime de lèse-majesté aux yeux des journalistes : la presse de tous bords se déchaîne.
Drôle de passer de l'autre côté du miroir ! Je ne comprends vraiment pas la réaction des journalistes, confrères et amis d'hier. La Haute Autorité a été saisie, par le RPR, d'une protestation sur la manière dont était couverte une actualité. Normal qu'elle donne son avis, elle est faite pour cela ! Pas pour donner des conseils de déontologie, ce dont je serais bien incapable, mais pour dire si telle ou telle information était de bonne ou de mauvaise foi, honnête ou déséquilibrée.
Je m'attendais à susciter des réactions indignées du côté du pouvoir, puisqu'en l'occurrence nous donnions raison à l'opposition.
Pas du tout. Les coups ne sont pas partis de là : ils sont partis des journalistes qui, parce qu'ils n'ont pas pris la peine de lire la loi instituant la Haute Autorité, jugent que nous sommes sortis de notre rôle. Incompréhensible ! En d'autres temps – sous Giscard, il y a moins de deux ans –, ils fustigeaient la servilité de la presse télévisée. Aujourd'hui, ils jugent au contraire que l'intervention
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