Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986

qu'il jurât du contraire, forcément à l'origine du premier appel menaçant à Desgraupes.
    Là, les choses se compliquent. Antenne 2 ou la Haute Autorité, ou les deux, peut-être, ont été écoutées au moment où Desgraupes m'a téléphoné. Mais par qui ? Est-ce un tour de Pierre Juquin, auquel un conflit sérieux m'a opposée en septembre ? L'appel émane-t-il d'un journaliste d'Antenne 2 qui, jouant la provocation, voulait faire accuser la Haute Autorité de censure sur le thème : après la condamnation d'un reportage sur Chirac, arrêt de l'émission sur Brejnev ?
    Conclusion : attention aux coups bas, aux coups tordus.

    15 novembre
    Reçu le premier tome des Mémoires d'Edgar Faure.
    Maurice Faure évoquait pour moi, tout à l'heure, ses dons de divination. En 1956, paraît-il, soit deux ans avant le retour du Général au pouvoir, Edgar lui avait dit : « Mon cher, pour la décolonisation de la Tunisie, il a fallu Mendès France. Pour le Maroc, il a fallu Pinay et moi. Pour l'Algérie, vous verrez qu'il nous faudra de Gaulle ! »
    En 1979, à l'occasion de la première élection européenne, Edgar disait à Maurice : « Nous devrions faire une liste commune. D'abord parce que nous sommes les deux meilleurs orateurs de l'Assemblée nationale, ensuite parce que notre homonymie aurait séduit les électeurs. »

    Déjeuné avec Jean-Marcel Jeanneney, ancien ministre du général de Gaulle, père de Jean-Noël que nous venons de nommer président de Radio France. Je ne sais si ceci explique cela : il promet à la loi audiovisuelle de 1982 les meilleures destinées. Ce en quoi il est plus optimiste que moi. Il pense que dans dix ans l'institution sera installée. Dix ans, une paille...
    Pendant ce temps, les présidents de chaînes font leur chemin à eux, je colmate les brèches en en ouvrant d'autres, et je fais du surf. Pourrai-je surfer pendant six ans ?

    21 novembre
    Deux jours en Angleterre à me pencher sur les câbles et les satellites. Merveilleux Anglais, préoccupés de concilier, comme nous, le service public et les télévisions privées, dans cette élégance, ce confort, cet art de vivre uniques ! Comment diable font-ils pour n'avoir jamais l'air occupé, comment sont-ils aussi sereins, pleins d'humour, désenchantés, présents et chaleureux ? À la fausse chaleur latine je préfère de loin celle, il est vrai plus alcoolisée, des Anglais...

    Légitime défense à Troyes, aujourd'hui. Un type, cambriolé dix fois, met un piège dans son garage. Le onzième voleur se présente. Le piège explose : il meurt à l'hôpital. L'homme, le garagiste, a été acquitté aujourd'hui.
    La gauche, PS en tête, proteste. Mais l'opinion publique, il me semble, est sur ce point à l'extrême opposé de la réaction de la gauche, même si l'acte est disproportionné à l'agression. Peut-être une peine assortie du sursis aurait-elle été préférable pour ne pas inciter les gens à se faire justice eux-mêmes ? Quoi qu'il en soit, je suis sûre que la volonté des Français d'être protégés de la petite criminalité est essentielle. Si la gauche n'en tient pas compte, elle fait mauvaise route.

    29 novembre
    Deux phénomènes politiques se conjuguent, me semble-t-il :
    – le divorce, chez les socialistes, entre les gestionnaires et les idéologues. Classique mais réel ;
    – le divorce entre le parti du Président et ceux qui luttent contre le système présidentiel. Classique aussi, mais tout aussi réel dans la vie politique d'aujourd'hui.
    S'ajoute à cela l'effort désespéré des giscardiens et des chiraquiens pour réaliser l'unité nécessaire. Il faut voir la tête de Chirac à la sortie du déjeuner avec Giscard organisé par Pierre de Bénouville chez Drouant. Constipé, mais assuré d'avoir fait un bon coup. Et il faut entendre Giscard hier, dimanche, au congrès de l'UDF, convaincu d'avoir réussi un rapprochement à son profit avec Jacques Chirac : on imagine sans peine, à les entendre, que l'unité, qu'ils s'enorgueillissent d'avoir réalisée, n'est pas encore pour demain.

    30 novembre
    Déjeuné avec Claude Estier qui s'interroge sur cet acharnement mis par Mitterrand à défendre parfois des médiocres, ou des gens qui ne correspondent pas aux fonctions sollicitées, sous prétexte qu'il connaît leur père, leur mère ou leur cousin ; sur cette volonté, qui relève parfois du caprice, d'imposer l'un ou l'autre, l'un à l'autre.
    Et puis, cet art de