Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
ce que je croyais être ses convictions ; il se prononce clairement en faveur d’un sérieux contrôle de l’immigration en France : sans doute l’analyse des difficultés rencontrées par les immigrés, d’un côté, et par les autorités qui les accueillent en France, de l’autre, l’a-t-elle amené à tirer cette conclusion : « Nous ne pouvons pas – dit-il gravement, interrogé sur l’intégration – héberger toute la misère du monde 34 . »
Il cite même le chiffre de toutes les expulsions auxquelles a procédé le gouvernement en 1988 : 66 000. Loin de s’en défendre, il ajoute que ce chiffre sera supérieur en 1989 ! Pourquoi le fait-il ? interroge Anne Sinclair. Réponse : pour maintenir la cohésion du pays.
Diable ! Le Rocard d’il y a quelques années n’en reviendrait pas lui-même. Il est vrai que la situation n’est plus la même et que beaucoup de Français mettent en cause le laxisme de la gauche en la matière. Ce qui n’est pas, mais pas du tout l’avis d’une grande partie des électeurs de gauche ! Avec eux, il ne joue pas les démagogues. Je me demande, au moment où il les prononce, comment ces phrases seront interprétées demain par ses amis politiques.
Arrive la question, attendue, sur ses relations avec François Mitterrand. Il sourit, comme si l’hypothèse d’une mésentente était totalement farfelue : Mitterrand est le Président, lui-même s’honore de lui obéir. Ensemble ils rient de la presse lorsqu’ils voient les journalistes gloser sur leur opposition.
Franchement, pour un homme qui « parle vrai », quelle assurance ! Si Gilles Martinet ne me l’avait pas raconté, je croirais, à l’entendre, que j’ai tout inventé !
8 décembre
« L’immigration en question » : tel est le thème du débat que TF1 a donc choisi d’organiser aujourd’hui. La vérité est que j’ai, que nous, car tout le monde s’y est mis, avons eu d’énormes difficultés avant de pouvoir trouver quelqu’un, dans tous les milieux politiques, hormis ceux du Front national, qui accepte de débattre avec Jean-Marie Le Pen. D’autant que la semaine dernière, Marie-France Stirbois, candidate dûment estampillée FN, a été élue à Dreux.
La préparation de cette émission a été un long chemin de croix. Nous avons essuyé une cascade de refus : refus du gouvernement, du Parti socialiste, des communistes ; François Léotard a hésité avant de finir par dire non. Je pense que tout le monde avait peur, pour différentes raisons, d’affronter Le Pen en combat singulier sur la première chaîne française. Les uns pour des raisons de principe : on ne parle pas avec le diable. Les autres parce qu’ils avaient peur, tout simplement, du talent de débatteur de Le Pen. La semaine précédente, Lionel Stoléru l’avait éprouvé à ses dépens sur la Cinq. C’est ce qui a d’ailleurs entraîné le refus de Léotard. Tous ont eu peur de tomber dans le piège d’une émission en direct où Le Pen pouvait leur réserver plus d’une surprise désagréable.
Je vais vite : au moment où je pensais renoncer à ce débat impossible, Pierre Mauroy m’a appelée. Il m’a interrogée, sans doute à l’instigation de l’Élysée : « Et pourquoi pas Tapie ? m’a-t-il suggéré. Il est à gauche, sans appartenir au Parti socialiste. Il a le coffre suffisant. »
Et voilà comment, après la défection de toutes les vedettes confirmées de la majorité et de l’opposition, un outsider, Bernard Tapie, qui a été immédiatement d’accord, a été porté au premier plan du débat politique.
Ce débat a été véritablement extraordinaire. À tout moment on pouvait craindre que les deux hommes en viennent aux mains. Bernard Tapie avait prévenu d’entrée de jeu, dès les premières phrases du débat, que si Le Pen l’injuriait, il ne se laisserait pas faire. Ilm’avait dit du reste, avant l’émission : « S’il me cherche, il va me trouver. Je ne me laisserai pas faire comme Lionel Stoléru 35 ! »
Le Pen l’a trouvé, en effet. Au bout de quelques minutes, alors que ce dernier commençait à noyer son adversaire sous un flot de paroles désagréables, Bernard Tapie a fait, je ne sais comment, une allusion directe au fait qu’il pouvait, si les choses allaient trop loin, lui casser la figure. Il a pris à témoin Poivre d’Arvor, qui dirigeait le débat :
« S’il dépasse les limites, moi, caméra ou pas, je me lève et je lui
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