Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
vais être désormais seule en première ligne.
15 novembre
Rendez-vous avec Jacques Chirac à midi à l’Hôtel de Ville. Nous parlons évidemment de la chute du mur de Berlin dont il pense qu’elle redistribue les cartes diplomatiques et politiques de toute l’Europe. Il reste néanmoins prudent : croit-il à une réunification ? Qu’est-ce que cela va changer dans les rapports Est/Ouest ? Je ne tire pas grand-chose de sa conversation.
20 novembre
Qu’est-ce qu’ils sont prudents, nos gouvernants, et l’opposition de même, d’ailleurs, avec l’effondrement du mur de Berlin ! On sent que les uns et les autres – et peut-être tous les dirigeants ouest-européens – se demandent ce que va faire l’Allemagne si la chute du Mur entraîne, par contagion, celle de l’Empire soviétique. Faut-il aider tout de suite les pays de l’Est, même si la démocratie n’y a encore fait que de timides progrès ? Que peut l’Europe ? Faut-il souhaiter ou craindre la réunification de l’Allemagne ? Celle-ci, d’ailleurs, est-elle prévisible ? Et, surtout, surtout, que faire avec Mikhaïl Gorbatchev ?
On le sent : confusément, Mitterrand est troublé ; il craint que toute la construction européenne et ses propres liens avec Helmut Kohl ne soient profondément modifiés par la nouvelle donne.
La droite n’est pas plus bavarde : j’ai mentionné le quasi-silence de Chirac, l’autre jour, à l’Hôtel de Ville ; quant à Giscard, que je vois souvent en ce moment à cause du tournage 31 , il est brillantissime, mais ne sait pas davantage comment les choses vont tourner.
Pierre Mauroy est inquiet de la façon dont se déroulera le futur congrès du PS à Rennes au printemps prochain. Il a demandé un rendez-vous au Président, il y a quelques jours, pour essayer d’obtenir son soutien, c’est-à-dire pour éviter la division prévisible du PS entreLionel Jospin et Laurent Fabius, tous deux se réclamant de Mitterrand et tous deux résolus à en découdre.
Je le rencontre aujourd’hui : il n’a pu tirer du chef de l’État que des propos imprécis. Il lui a demandé de recevoir les deux postulants pour leur demander de mettre une sourdine à leur affrontement. Mauroy n’est pas sûr que Mitterrand le fasse, encore qu’il ait laissé échapper un vague accord de principe.
30 novembre
Je me rappelle cette phrase d’Edgar Faure qui m’avait tant amusée il y a plusieurs années : « L’immobilisme est en marche, rien ne l’arrêtera ! »
Il semble bien qu’aujourd’hui la réunification de l’Allemagne soit en marche, et que rien ne l’arrêtera. Problème : que dira, que fera Gorbatchev ?
2 décembre
Rocard à « 7 sur 7 » avec Anne Sinclair. Il ne paraît aucunement usé au bout de ces dix-neuf mois à Matignon. Pourtant, il ne s’est guère ménagé et ne l’a guère été. Il est frais comme un gardon : costume bleu, rasé de frais, plus épanoui qu’il ne l’a jamais été. Il est vrai que les sondages pour lui sont au beau fixe, malgré les grèves de l’année dernière et les difficultés de cette année. Il répond avec modestie, comme un élève méritant, qu’il gouverne sous l’autorité du président Mitterrand ; il est heureux que son bilan soit jugé bon par l’institut BVA, et regrette pourtant que l’« amélioration de l’économie » – ce sont ses termes – ne permette pas encore « de répondre aux aspirations légitimes et aux souffrances négligées depuis longtemps ».
Est-ce parce qu’à gauche il apparaît comme un homme proche de la droite ? lui demande Anne Sinclair. Il ne se laisse pas prendre au piège et précise que la droite, même si elle lui est plus favorable, au moins dans les sondages, le prend exactement pour ce qu’il est, c’est-à-dire pour un socialiste. On ne l’éloignera pas d’un iota de la ligne du Parti !
Le passage le plus nouveau touche à l’immigration. Rocard,comme il l’a été du temps du PSU, est tout naturellement, et plus que Mitterrand, l’homme de l’ouverture aux immigrés de tous les pays. Situation d’autant plus difficile que le premier tour des partielles 32 a montré la semaine dernière que le Front national progressait justement à cause du port du foulard islamique à l’école (sur lequel Jospin 33 s’est contenté de demander son avis au Conseil d’État). Je ne m’attendais pas à sa position : Michel Rocard prend sur ce sujet le contrepied de
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