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Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997

Titel: Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michèle Cotta
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Parti. S’il y avait eu un rapprochement entre Jospin et Rocard, si, avec Mauroy, ils avaient obtenu la majorité contre Fabius, le Président aurait perdu. Les fédérations restent dans la main de Mauroy et de Jospin, pas de Rocard : c’est mieux que rien ! »
    À noter – il prend soin de me le dire lui-même – que le Premier ministre est venu à Rennes, qu’il est resté dans sa chambre d’hôtel, qu’il a laissé Huchon combattre seul, et qu’il n’a pris parti pour personne.
    Lorsque je retourne dans la grande salle où le congrès doit maintenant achever ses travaux en séance plénière, Pierre Mauroy attend, seul à la tribune, une rose rouge à la main, la reprise. Il est lugubre, comme sa rose, qui, fatiguée elle aussi, penche vers le sol.
    Pendant que chacun rejoint sa place, il prononce son discours aux militants. Des paroles empreintes d’un enthousiasme que personne, pas même lui, ne partage réellement. Il parle interrogations fondamentales, unité, passion, tempêtes... Et, finalement, annonce que lasynthèse – celle, dit-il, « qui correspondait à notre histoire de socialistes depuis 1971 », est repoussée, que les congressistes sont appelés à voter à la proportionnelle sur les textes qui leur seront présentés.
    Il a beau s’être réjoui de ce que le Parti socialiste ait trouvé une unité dans le débat idéologique, il faut convenir que celui-ci est loin de l’avoir trouvé dans les faits. Les clans sont plus vivaces que jamais.
    On a l’occasion de s’en apercevoir dès le début des explications de vote : c’est un chahut inouï, les gens s’invectivent d’une travée à l’autre pendant que les orateurs principaux se succèdent.
    TF1 retransmet cette séance à partir de 13 heures, en direct dans le JT. Carreyrou, Mano et moi nous nous sommes répartis dans la salle, chacun dans un camp, pour essayer de rendre compte de l’éclatement prévisible du PS. Ce qui n’était pas prévisible, car seuls les impératifs d’horaires l’imposent, c’est que tout cela se passe en direct, devant des millions de téléspectateurs stupéfaits par ce charivari.
    Le JT terminé avec quelques minutes d’antenne supplémentaires – ravageuses pour l’image du PS dans l’opinion –, je reprends ma voiture et regagne Paris.
    Franchement, j’en ai assez vu.

    Lundi 19 mars
    Je comprends mieux ce que m’a dit brièvement Roland Dumas. C’est Gilles Martinet qui, à sa manière, avec son acuité ironique et son vocabulaire sans détour, met à mon intention les points sur les i : si Mauroy, Jospin et Rocard avaient mis leurs forces en commun dans ce congrès, ils auraient pris la majorité. Pendant une bonne partie de la nuit, Michel Rocard, enfermé dans sa chambre d’hôtel, a hésité : devait-il défier Mitterrand, lequel lui avait demandé expressément de rester à l’écart de la bagarre Jospin-Fabius ? Devait-il au contraire ajouter ses suffrages et ceux de ses amis à ceux de Jospin et de Mauroy ?
    « Dans ce cas, Rocard avait le Parti, Laurent Fabius passait dans l’opposition, et Mitterrand avait perdu : il n’avait plus prise sur le PS. »
    Moi, pendant les trois jours qu’a duré le congrès, je n’ai vu et décrit dans ces cahiers que le combat Fabius-Jospin. Tout cela amplifié par les journaux télévisés qui n’ont cessé de donner la parole à l’un puis à l’autre, à l’autre puis à l’un. En réalité, il y avait un autre duel encoulisses, et beaucoup plus important, entre Mitterrand et Rocard pour le contrôle du Parti. Roland Dumas était l’œil de Mitterrand sur le congrès. S’il m’a paru détendu quand je l’ai rencontré en marge de la commission des résolutions finissante, c’est que Michel Rocard n’avait pas rallié Lionel Jospin.
    Je demande à Martinet quel a été le rôle de Pierre Mauroy dans tout cela.
    « Il a tout fait pour éviter que le Parti se casse entre partisans de Rocard et de Jospin d’un côté, militants de Fabius de l’autre. Il a même été, me dit Martinet, un de ceux qui ont conseillé à Rocard de ne pas bouger. Avec cet argument : si Rocard, Jospin et Mauroy s’unissaient sur la même motion, ils avaient la majorité. Fabius, Bérégovoy, Poperen étaient du coup dans l’opposition : la moitié des ministres auraient été dans le camp opposé au président de la République, l’autre moitié dans le camp opposé à la direction du Parti – et au Premier ministre.

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