Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
Mitterrand se serait débarrassé de Rocard illico ! »
Je demande :
« Rocard y était-il prêt ?
– Il l’est toujours, à l’heure qu’il est », m’assure Gilles Martinet.
21 mars
La montagne de Rennes a accouché d’une souris : Pierre Mauroy est réélu premier secrétaire du PS. Mardi soir, j’ai dîné avec Pierre Bérégovoy chez André et Liliane Chadeau 13 : le maintien probable de Mauroy lui paraissait un moindre mal.
Michel Rocard n’a pas franchi le Rubicon. Encore que Pierre Bérégovoy laisse entendre que c’est surtout Lionel Jospin qui, au dernier moment, hier, n’a pas osé aller jusqu’au bout – jusqu’à rompre avec François Mitterrand. Michel Rocard, assure-t-il, y aurait été prêt. Nous ne saurons peut-être jamais exactement ce qui a fait reculer l’un ou l’autre. L’important est pour Mitterrand que Rocard ne soit pas aujourd’hui premier secrétaire d’un parti et chef d’un gouvernement divisés. Pour l’Élysée, Mauroy est aujourd’hui un moindre mal...
C’est ainsi que se termine la tragi-comédie de Rennes. Question : Mitterrand pardonnera-t-il ses hésitations à Michel Rocard ? Lui pardonnera-t-il d’avoir un instant seulement osé le défier, en dépit des consignes qu’il lui avait prodiguées à la veille du congrès ? Oubliera-t-il que, pendant quelques jours, Michel Rocard a menacé son autorité ?
25 mars
Mitterrand à « 7 sur 7 », vêtu – c’est rare – d’une chemise presque violette.
Sur les quatre-vingt-cinq minutes que dure l’émission – qui, pour lui, déborde de l’horaire habituel –, il parle environ trois quarts d’heure du congrès de Rennes. J’éprouve quelque chose comme une gêne à l’entendre évoquer longuement, trop longuement, l’historique du PS, en proie, dit-il, à des discussions très vives depuis Épinay, en 1971, et Metz, en 1989. Il tente de se placer au-dessus des clans et des camps en affirmant qu’il n’a pas de « poulain », et que, d’ailleurs, sa succession n’est pas à l’ordre du jour.
Mais enfin, on sent bien qu’il ferait bien de Laurent Fabius ce poulain qu’il dit ne pas exister ! Il est plus loin, beaucoup plus loin de Michel Rocard dont il dit, avec un éclair de défi dans le regard – je résume un peu brutalement –, qu’il est Premier ministre, et que c’est déjà bien assez 14 . Et que c’est à lui de « redistribuer la prospérité française » et de gagner les élections de 1993. Sous-entendu : s’il les perd, moi je serai toujours là, pas lui.
Coup de pied de l’âne : il ajoute, faussement benoît, une phrase sur le PS, « très riche en hommes capables, éventuellement, d’occuper le poste de Premier ministre ». Que Rocard se le tienne pour dit !
Pas un mot, ou alors j’ai été distraite, sur Lionel Jospin...
Je me pose depuis quelque temps déjà le problème des relations entre celui-ci et Mitterrand. C’est à Mitterrand que Lionel Jospin, alors jeune, doit son ascension dans le Parti. Ils étaient, m’a-t-il semblé, toujours assez proches quand Mitterrand lui a confié, à sa place, avant d’entrer à l’Élysée, les clefs du parti socialiste, en 1981. Ils n’étaient pas opposés lorsque Mitterrand et le gouvernementRocard ont donné à Lionel Jospin, alors ministre de l’Éducation nationale, les moyens, considérables, de réformer, et surtout de calmer élèves et professeurs.
Alors, pourquoi, depuis plus d’un an déjà, les rapports entre eux se sont-ils compliqués ? À cause de Michel Rocard vers qui Jospin était suspecté de faire mouvement ? Parce que Mitterrand critiquait et même parfois condamnait sa politique à l’Éducation nationale ? Tout cela à la fois, peut-être. Je n’en sais trop rien, mais les deux hommes le savent-ils ?
Je termine sur les propos de Mitterrand à « 7 sur 7 » concernant la réunification de l’Allemagne depuis la chute du Mur. Il approuve cette unité – que, soit dit en passant, Helmut Kohl lui a imposée sans lui demander son avis – à condition, dit-il, que les Allemands s’engagent à respecter les frontières en Europe, et qu’ils s’engagent « de façon précise » dans la Communauté européenne.
Phrases qui traduisent bien son angoisse face à la réunification : il craint que les Allemands ne veuillent jouer seuls leur partie en Europe de l’Est (ou anciennement de l’Est), et que, du coup, ils abandonnent les autres
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