Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997

pays européens. C’est la première fois que je mesure quelles sont ses préventions par rapport à l’Allemagne réunifiée. Au fond, il est resté sur la position que François Mauriac, dans les années 1960, exprimait ainsi avec son humour corrosif : « J’aime tellement l’Allemagne que je préfère qu’il y en ait deux ! »

    25 avril
    Avec la discussion sur la loi d’amnistie que Michel Rocard défend à l’Assemblée nationale, le moins qu’on puisse dire est qu’il n’est pas à la fête. On le comprend. Il est, de ce point de vue, au-dessus de tout soupçon : personne ne l’a jamais mis en cause dans quelque dossier que ce soit, il répugne même à l’idée que les hommes politiques puissent toucher à l’argent, que les partis démarchent leurs commanditaires. En décembre, les députés avaient une première fois adopté en pleine nuit l’amnistie de toutes les infractions commises avant juin de la même année sur le financement des partis politiques 15 .
    Aujourd’hui, rebelote ! Il s’agit d’aller plus loin dans un pardon collectif qui ne peut pas faire oublier que les socialistes ont été le plus souvent, depuis 1988, pris la main dans le sac. Lui, Rocard, était plus que réticent : d’après Gilles Martinet, c’est Pierre Mauroy qui a plaidé auprès de lui la nécessité de cette amnistie : « Tu ne te rends pas compte, lui a-t-il dit, si nous ne prenons pas cette décision-là, tous les jours tu entendras dire d’untel ou d’untel qu’il est pris dans une affaire dont tu ne sauras rien. Pour la paix politique, il est urgent d’inscrire dans la loi une amnistie plus large. »
    Je rencontre à l’Assemblée nationale André Lajoinie 16 qui compte intervenir contre le texte de loi gouvernemental qui a finalement été déposé.
    « Tous les partis sont certes responsables de leur “auto-amnistie”, me dit-il, mais la faute en revient en premier lieu aux socialistes. Les hommes politiques seront amnistiés s’ils ont mis la main sur des fonds publics. Il y a là-dedans une complicité totale de tout le monde avec tout le monde... à l’exception du Parti communiste qui n’a jamais trempé dans des magouilles de ce genre. S’il ne tenait qu’au PC, personne ne serait amnistié pour avoir mis la main dans la caisse... »
    Cela, Michel Rocard pourrait le dire aussi. La situation chez les élus du PS est si mauvaise qu’il est contraint de défendre ce qui lui répugne. Et Mauroy aussi, qui, de l’intérieur du PS, sait fort bien qui a fait quoi et où.

    9 mai
    Motion de censure sur l’amnistie.
    La situation s’inverse : la droite a crié à la manœuvre contre le texte gouvernemental. Les communistes, en position d’arbitres, peuvent renverser le gouvernement s’ils s’allient à la droite 17 . Un comble : Rocard renversé sur une amnistie dont il n’a, lui, aucun besoin !
    Le même Lajoinie, qui se plaignait du PS il y a quelques jours, voit le danger et craint que Mitterrand ne dissolve l’Assemblée oune se débarrasse de Rocard en cas de censure. Du coup, il met la même vigueur à dénoncer aujourd’hui l’opération de la droite qu’il en mettait la semaine dernière à condamner le PS et ses chefs !
    Rocard menacé par l’amnistie et dont le sort est aujourd’hui entre les mains des communistes ! On aura tout vu 18  !

    10 mai
    Terrible ratage de TF1 au Festival de Cannes ! Ratage n’est peut-être pas le mot juste : la seule chose que n’avait pas prévue et que ne pouvait pas prévoir Pierre Géraud, rédacteur en chef du 20 heures et deus ex-machina de la chaîne au Festival, est que le matin de l’ouverture les tombes juives du cimetière de Carpentras seraient profanées 19 .
    Tombeaux ouverts, pierres tombales déplacées, stèles renversées. Pis : un cadavre, celui de Félix Germon, peut-être transpercé par le mât de parasol trouvé auprès de lui, témoignage de la barbarie dont ont fait preuve les profanateurs. Et cela dans la ville, Carpentras, qui abrite la plus ancienne synagogue de France et revendique sept siècles de traditions de tolérance ! Dès que la profanation a été connue, le matin, l’émotion a été considérable dans la France entière. Les témoignages d’indignation se sont multipliés un peu partout, tandis que les Juifs de France, où qu’ils soient, usaient de la même phrase ou avaient la même pensée : « Ça recommence ! »
    Ce jour-là, le JT de 20 heures devait être