Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
judiciaire en cours, il fait l’historique de l’affaire, évoque l’action du juge Bruguière 8 et précise : « Il n’y a pas contre Habache de mandat d’arrêt national ou international, ni de demande d’extradition. »
S’il n’a donc pas jugé bon de sanctionner les ministres des Affaires étrangères et de l’Intérieur, c’est, dit-il, parce que « l’affaire n’est pasgrave ». Il répète : « C’est une erreur de jugement que j’ai sanctionnée. Il n’y a plus d’affaire Habache : il est rentré à Tunis. »
Il ne peut s’empêcher de dire, parce qu’il le pense fortement, qu’il s’agit, derrière ce faux procès, d’un véritable guet-apens politique de ses adversaires. Il en voit une preuve dans la précipitation avec laquelle Valéry Giscard d’Estaing en a profité pour demander des élections législatives anticipées.
Il est en revanche prêt à accepter la proposition d’Édouard Balladur, qu’il dit être également la sienne, de convoquer le Parlement, vendredi prochain, en session extraordinaire. Le gouvernement fera une déclaration, si l’opposition le veut elle n’a qu’à le renverser par une motion de censure !
Abandonnant Georges Habache et son hospitalisation, Poivre et Sannier mettent sur le tapis les réformes constitutionnelles qui, proposées par Mitterrand à l’automne dernier, ont animé et animent encore la vie politique en France. Il répond qu’il n’a jamais été favorable à la proportionnelle intégrale, que celle-ci avait été proposée et défendue par d’autres que lui.
Poivre d’Arvor s’accroche : « Et le scandale de la transfusion sanguine ? » demande-t-il, question qui n’a plus grand-chose à voir avec l’affaire Habache. Le Président réplique, sans aller plus loin, que la France n’est pas seule à avoir été touchée, que le problème a été le même dans tous les pays.
Pendant l’émission, il réprime souvent son indignation devant les questions posées. L’interrogation finale d’Henri Sannier, qui n’est pourtant pas faite pour embarrasser le Président, mais plutôt pour lui ouvrir une porte de sortie en fin d’émission, se heurte à une réplique « à la Mitterrand ». Sannier lui demande – j’ai oublié les termes exacts – s’il ne souffre pas trop de la solitude du pouvoir. « Je ne souffre pas de cette maladie-là », répond-il seulement, en soulignant que la solitude du pouvoir est une expression romantique, c’est-à-dire plus journalistique que réelle.
« Il n’y a pas d’affaire Habache. Ce sont les journalistes qui l’ont inventée ! » dit-il à la sortie aux dirigeants de chaînes, Hervé Bourges, Patrick Le Lay, Étienne Mougeotte et moi, qui, comme d’habitude, ont escorté les interviewers à l’Élysée.
Je me crois obligée de défendre ma corporation, ce qui l’énerve au plus haut point.
« Admettons, dis-je, qu’il y ait un effet de loupe.
– Oui, c’est cela, répond-il. Mais si vous avez un microscope, vous pouvez voir n’importe quoi sur vous !... Sur moi aussi, d’ailleurs », ajoute-t-il après un silence.
Il voit bien, dit-il, ce que ses adversaires ont derrière la tête : « C’est moi qui leur pose problème, martèle-t-il, c’est moi dont ils veulent la place ! »
On lui dit qu’il a eu un mot gentil pour Balladur. « Eh oui, réplique-t-il, il est de mon avis. C’est donc à lui que j’ai donné raison. »
Pour le reste, je suis surprise de son teint, non pas livide, comme souvent, mais brouillé, parcheminé, avec de profondes ridules au creux des joues. De profil, il a gardé cette arête aiguë, incisive, du nez et du menton.
À la fin de notre rencontre, il a tenu à s’asseoir par deux fois, mais, par deux fois, Bourges et Le Lay sont restés debout.
Il pique une brève mais réelle colère :
« Ah, dit-il, on leur sortira tout, au cours du débat à l’Assemblée, tout sur les ministres assassinés 9 sans que l’enquête ait jamais abouti, sur les terroristes qu’ils ont remis en liberté et qui ne sont pas à la retraite, sur les scandales politico-financiers, et tout le reste ! »
Il s’est mis dans une colère noire, mêlant dans la même indignation les hommes politiques de l’opposition et les journalistes, tous supports confondus ! Sa lèvre supérieure ne tremble pas, comme je l’ai vu au cours du débat télévisé de l’entre-deux-tours, lors de la présidentielle de 1988, mais
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