Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
que tu ne veux pas venir, ne me dis pas que tu crois sincèrement qu’il y aura du monde à cette heure-là, en banlieue, dans une circonscription populaire ! »
Fabius l’a mal pris.
En réalité, cette conversation tendue avec Fabius reflète un malaise politique : aujourd’hui, tout secrétaire d’État qu’il est, Marcel Debarge est, au Pré-Saint-Gervais, derrière le candidat communiste (14 % contre 16 %), et loin derrière celui du Front national. « Et ne disons pas, dit-il, que ce sont les communistes qui votent FN : ce sont les nôtres, les déçus du socialisme ! »
Déçu, il l’est, lui aussi. Il aurait dû, dit-il, prétendre au poste de premier secrétaire du Parti, mais c’était défier Mitterrand, ce qu’il n’a pas osé faire. Il aurait dû être ministre, pas secrétaire d’État, mais il n’a pas su résister à Mitterrand qui le lui a demandé. Il aurait dû être numéro 2 du Parti socialiste : cette fois, Lionel Jospin, qu’il avait pourtant aidé auparavant en je ne sais quelle occasion, s’y est opposé. « Pourtant, cela ne m’a pas rendu fabiusien ! » m’assure-t-il alors que je croyais dur comme fer qu’il l’était.
En l’écoutant, on mesure à quel point les luttes de clans ont dévasté les rangs socialistes : en banlieue ou à Paris, à Marseille ou dans le Nord, ce sont les chefs de courant qui se sont malmenés, qui ont ravagé ce qu’il restait de l’organisation du PS.
Il ne le dit pas, il le suggère : beaucoup d’erreurs ont été commises. Jospin était trop solitaire, Pierre Mauroy trop désavoué par Mitterrand en 1988. Édith Cresson, qu’il aime bien, est trop désorganisée pour être Premier ministre. François Mitterrand est trop présent, trop rancunier quand on lui a déplu. Debarge était – et il est toujours – très proche de Michel Pezet, qui aurait été, selon lui, le meilleur maire de Marseille : il aurait fallu ne pas dire qu’il était responsable de la mort de Gaston Defferre, et ne pas inventer Vigouroux.
Qui l’a inventé, Vigouroux ?
« Tout cela, explique Debarge, parce que Pezet ne s’est pas décidé à voter Fabius au secrétariat du PS, en 1988. Il l’a payé ! »
Pour finir : « Moi, je n’ai pas touché un rond, dit-il, contrairement à d’autres ! »
Hier, cet homme était rond et convivial. Aujourd’hui, le voici au bord du désespoir. Tout cela parce que son avenir politique est compromis par les petits 14 % que lui accordent les sondages.
À ce propos, lui aussi est favorable à un changement du mode de scrutin législatif : il propose de l’aligner sur le mode de scrutin municipal.
Nice, au second tour des cantonales partielles, donne 88 voix d’avance à la candidate centriste, devant Jacques Peyrat. Les quartiers populaires ont voté pour lui, la bourgeoisie niçoise contre lui.
25 février
Dîner avec Henri Weber 12 , ami et collaborateur très proche de Laurent Fabius, et Jérôme Jaffré. Nous essayons, Jérôme Jaffré et moi, de percer les intentions de Fabius. Les voici telles que nous les dessinons :
Jacques Delors arrive à Matignon, c’est urgent, dans la semaine suivant les élections régionales ; en un an, peut-être deux, il est usé par le pouvoir ; il ne peut pas se présenter à l’élection présidentielle de 1995. Michel Rocard, le « candidat virtuel » (c’est ainsi qu’on l’appelle maintenant), se présenterait donc. Comme son image est complètement liée au PS, il se plante. Jacques Chirac est donc élu. Dans ce cas, Fabius a tout le temps qu’il faut pour « refonder » le Parti socialiste.
Le passage par l’opposition, Weber ne nous contredit pas sur ce point, est un must obligatoire pour cette stratégie que je baptiserai, moi, « Horizon 2002 ».
À propos de Mitterrand, le doute planant sur ses chances, son énergie, s’insinue partout. Il en faut, en effet, pour qu’Henri Weber ose se poser tout haut la question : « Pensez-vous qu’aujourd’hui Mitterrand soit toujours opérationnel ? »
Nous répondons que oui, il l’est, moyennant cependant un doute d’autant plus grand qu’il l’exprime lui-même, lui qui est le collaborateur et ami le plus proche de Laurent Fabius. Et si celui-ci, justement, manifestait à nouveau un certain « trouble » (mot qu’il avait utilisé naguère à propos de l’invitation à Paris du Polonais Jaruzelski par le chef de l’État) vis-à-vis des capacités de
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