Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
de Maastricht comme Philippe Séguin, et ceux qui y sont favorables, comme, finalement, Chirac et d’autres, pourraient ne pas retenir la solution de prudence balladurienne.
Ses pronostics ? Mitterrand n’aura pas la majorité des 3/5 au Congrès, car les sénateurs ne voteront pas le texte, encore moins dans la version conforme à celle de l’Assemblée nationale.
On ira donc, pense-t-il, au référendum. Quand, comment ? L’intérêt de Mitterrand, dit-il, est évidemment de faire durer les choses, de diviser au maximum le RPR et l’opposition, d’empêcher la polémique sur le retour du chômage.
« Oh, soupire-t-il, on voit bien ce que tente Bérégovoy : il camouflera les 900 000 chômeurs, publiera un communiqué en septembre pour dire qu’il y en a 600 000 de moins, sans tenir compte à ce moment-là des nouveaux venus de la rentrée dans les statistiques... »
D’un autre côté, il sent le RPR coincé et n’est pas sûr de sa victoire en 1993. Il reprend avec moi les chiffres de Michel Noir, que je lui montre. Il n’est pas d’accord : il donne 25 % et non pas 23 % au PS, 10 % aux écologistes, 8 % au PC, soit 43 % et non pas 41 pour le bloc de gauche. Tout, selon lui, reste encore ouvert.
Avant ce « 5 à 7 » avec Balladur, j’ai déjeuné avec Martine Aubry. Elle montre une extraordinaire assurance que lui a donnée, je suppose, le fait d’être née dans le chaudron politique. Et aussi sa connaissance réelle des dossiers sociaux, qu’elle suit depuis qu’elle est sortie de l’ENA. Il paraît qu’elle a mauvais caractère, disent les uns ; du caractère tout court, assurent les autres.
Pendant que nous déjeunons toutes deux dans son bureau, sur une petite table, elle m’apparaît aussi carrée, aussi volontaire que son père l’est peu. Elle parle, sans faire de phrases, du problème des chômeurs de longue durée, combiné à celui des jeunes ; du RMI, du temps de travail. Elle démonte la mécanique Cresson, qu’elle a longtempssoutenue : un mélange d’interventionnisme permanent et d’agitation, une absence totale de hiérarchie des urgences ; pourtant, beaucoup de volonté politique, d’opiniâtreté, et une certaine tendance à trancher sur des questions auxquelles elle ne comprenait rien du tout.
On ne s’ennuie pas avec Martine Aubry, elle est bavarde comme une pie, pas toujours indulgente, souvent drôle. Elle me raconte par exemple comment, lors des dernières questions orales au gouvernement à l’Assemblée nationale, elle a calmé Bernard Tapie qui, sans expérience parlementaire, voulait, pour je ne sais quoi, monter sur ses grands chevaux. Tapie, du coup, prend la parole, n’ose pas en faire trop, en fait plutôt pas assez. « J’ai été nul ! » dit-il lorsqu’il se rassoit à son banc. « Pas tellement, lui dit Martine Aubry, tu n’as rien dit : c’est cela, une bonne réponse parlementaire ! »
12 mai
Début du débat sur Maastricht à l’Assemblée nationale. Jacques Chirac était à l’étranger – au Japon, je crois – pendant le week-end. Il est rentré ce matin. Balladur, présent hier, convient que le groupe RPR, dans sa majorité, est plutôt hostile au traité, et que le vote de la question préalable en faveur de Séguin, il y a quelques jours, était tout autant destiné à contrer Jacques Chirac qu’à gêner Mitterrand.
En marge des débats, Olivier Guichard me raconte qu’il a profité de la diffusion du film La Baule-les-Pins , sur Antenne 2, pour faire une campagne de promotion de La Baule, dont il est l’élu. « Hélas, me dit-il, les enfants du pays ont compris qu’il s’agissait de La Baule et de ses pin’s ! »
L’« embellie », c’est le mot à la mode, généralement suivi de commentaires sur le talent de Mitterrand pour se sortir de situations inextricables, sur son génie à trouver des parades. En réalité, il me semble que les choses sont à nuancer. Il est vrai que Mitterrand a eu la bonne idée de nommer Bérégovoy qui est en passe de réussir ses premières semaines au gouvernement. Il faut dire que la comparaison avec le précédent gouvernement ne peut que jouer en sa faveur. Vrai aussi que Mitterrand a su enfermer l’opposition dans ses contradictions à propos de Maastricht. Le piège a fonctionné à merveille.
C’est aussi que Jacques Chirac l’a beaucoup aidé. Dans la conversation que j’ai eue avec lui, à Aulnay-sous-Bois, pour un de ses
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