Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
devient décidément un as de la communication !
Je reviens tout de même, ce soir, sur la détérioration, finalement rapide, de leurs relations. Balladur, c’est certain, n’a pas pardonné à Chirac d’avoir manqué de solidarité avec lui au moment du « Munich social » de Séguin. De ce point de vue, en voyant à Strasbourg, l’autre jour, Séguin si proche de Chirac, le suivant à quelques pas tout au long de la rencontre avec les jeunes RPR, on comprend que le Premier ministre ait pensé que le président de l’Assemblée ne s’était pas lancé dans cette vibrante critique de la politique gouvernementale sans y être encouragé par Chirac, ou du moins qu’il l’ait fait sans en avoir été empêché par lui.
En sens inverse, les proches du maire de Paris disent que celui-ci a été choqué, beaucoup plus tôt, dès les premières semaines, par l’indépendance revendiquée par Balladur, par exemple par sa façon de ne consulter Chirac que du bout des lèvres sur la formation du gouvernement ou sur l’emprunt.
La vérité est sans doute qu’aucun des deux n’avait pris la mesure de ce qu’impliquait la présence de l’un à Matignon et le retrait de l’autre dans son bunker de l’Hôtel de Ville. Chirac considère sans doute qu’ayant fait Balladur roi, celui-ci lui doit tout. Tandis que Balladur, devenu Premier ministre sans l’avoir quémandé, entend être Premier ministre à part entière.
Naïf, Chirac ? Plutôt nul en psychologie, même élémentaire. Cela dit, je n’arrive pas à croire que les relations entre les deux hommes soient aussi dégradées qu’on le dit. Irritation, certes, agacement, regrets de l’un, réussite de l’autre, peut-être. Affrontement ? Pas sûr.
12 septembre
Nouveau déjeuner de notre petite bande de journalistes à l’hôtel Matignon. Dans le salon, peu de changements depuis trois mois, hormis un nouveau Kandinsky (« le plus grand peintre de sa génération », selon le Premier ministre) et un Sisley. Dans la salle à manger, avant de passer à table (un plat, un dessert : la consigne est strictement suivie par le cuisinier), Édouard Balladur me montre un très beau Matisse. Je l’avais déjà vu en mai dernier ; il me fait remarquer qu’il est encadré différemment, et beaucoup mieux.
Sur le fond, quelques réflexions de nature plus politique qu’économique.
Il est d’abord évident que, malgré l’entente affichée l’autre jour à Matignon entre les deux hommes, ses relations avec Chirac restent tendues. Ou plus exactement distantes, détachées, parfois narquoises. Plusieurs illustrations à cela.
Quand on lui demande si l’intervention de Séguin, en juin dernier, a contribué à dégrader la crise monétaire entre la France et l’Allemagne, il répond non, mais ajoute aussitôt : « Les rapports ont été dégradés par le silence de quelques-uns. » Plutôt qu’à Séguin, allusion au silence de Chirac. Décidément, Balladur est rancunier. Il n’oubliera jamais.
« Vous l’avez dit à Chirac ?
– Oui, et bien avant notre déjeuner à Versailles.
– Quelle raison a-t-il invoquée pour expliquer ce silence ?
– L’unité de la majorité.
– Et vous avez été convaincu ?
– Oui, j’ai été convaincu qu’il s’exprimait en chef de parti et non en homme d’État. »
Même tonalité sur les élections européennes : « Je ne dirai plus un mot là-dessus », prévient-il. Après quoi, il se montre prolixe. Il tient à ce que la majorité présente une liste unie. Sinon, il exigera que les ministres n’y participent pas. Sur ce point, il est en conflit avec les deux leaders de la majorité, Giscard et Chirac, qui tous deux envisagent des listes séparées. Balladur assure qu’il ne changera pas d’avis et s’opposera à la présence de ministres sur deux listes différentes de la majorité. Il ira, s’il le faut, jusqu’à proposer sa démission. « Vous savez, une démission à quelques semaines des élections, c’est une menace qui compte. »
Même distance vis-à-vis de Chirac seul, cette fois, à l’occasion de la préparation des journées parlementaires à La Rochelle : « Chirac voulait parler le samedi, je ne pouvais pas être là, ce qui apparemment lui posait problème. Nous avons donc décidé que Chirac parlerait le dimanche matin, en ouverture de la journée, et moi en fin de matinée. Tout s’est arrangé. »
Plus que la teneur des paroles, c’est le
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